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1656 : Le grand « Renfermement des pauvres » Quand l’hôpital devint une prison.

Dans la première moitié du XVIIe siècle, l’augmentation croissante des pauvres, mendiants et truands dans Paris (environ 40 000) engendra de nombreux vols et agressions. Le pouvoir royal chercha les moyens de combattre ce vagabondage. Le 27 août 1612, Marie de Médicis fonda le “Bureau et hôpital des pauvres enfermés”, à l’hôpital de la Pitié. Mais ce fut l’arrêt du 16 juillet 1632 qui envisagea un véritable enfermement des pauvres à Paris. Le pouvoir royal, l’aristocratie, et les compagnies religieuses participèrent à cette entreprise sous prétexte de l’aide aux plus démunis, mais reflétant en réalité la nécessité de les exclure définitivement comme « inutiles au monde » [1].

Le rôle de l’église

Il ne faut pas sous-estimer, dans cette initiative, le rôle de Vincent de Paul et surtout de la ­Compagnie du Saint-Sacrement, société secrète de dévots aux ordres de Rome. Ils étaient parvenus à convaincre Anne d’Autriche que l’aide aux pauvres et la suppression de la mendicité et de la prostitution à Paris était un impératif religieux (!). Pour la Compagnie en particulier, la moralisation de l’ensemble de la vie sociale devait passer par le combat contre les éléments les plus nuisibles de la société. Les « mendiants-­fainéants » faisaient partie de cette catégorie de pauvres qu’il fallait combattre, à la différence du pauvre repentant qui refusait l’aumône et qui représentait l’image du Christ. La privation de liberté devenait donc nécessaire aux miséreux pour qu’ils retrouvent toute la foi qu’ils avaient perdue. On voulait ainsi se protéger, sous couvert de religion, des pauvres qui menaient des vies de païens, qui n’approchaient jamais de la Sainte Table et dont les enfants n’étaient même pas baptisés.

 

1. En 1645, l’archevêque de Paris avait reconnu la compagnie des « servantes des pauvres de la charité » de Vincent de Paul, comme symbole de l’aide aux pauvres.

2. Société anti-janséniste fondée en 1630 par Henri de Lévis et dissoute en 1666 par Louis XIV.

L’Hôpital Général :  un projet royal

En 1651, le projet d’un Hôpital ­Général, appuyé par la Compagnie et la duchesse d’Aiguillon, nièce de Richelieu, fut présenté au premier président au parlement de Paris et au procureur général. Le projet était d’organiser cet hôpital général autour de l’ancienne Pitié qui devenait ainsi le siège de l’administration du “Renfermement” à Paris. Au mois d’avril 1656, l’édit du Roy « portant établissement de l’Hôpital Général, pour le renfermement des pauvres mendiants de la ville et Faubourgs de Paris » fut signé. L’édit prévoyait la réunion, à cette « institution », de plusieurs établissements chargés d’accueillir les pauvres de la capitale : la Pitié, le Refuge, Scipion, la Savonnerie et surtout Bicêtre. Quant au roi Louis XIV, qui avait acquis la maison de la Salpêtrière en 1650 : il en fit don à l’Hôpital Général en avril 1656, par lettres patentes, pour contribuer à y enfermer les pauvres. La Salpêtrière fut particulièrement chargée d’accueillir les femmes, jeunes filles et enfants. En 1666, 10 ans après l’édit d’établissement, la ­Salpêtrière accueillait 2 322 ­nécessiteux (Fig. 1).

Figure 1 – L’Hôpital Général de la Salpêtrière au XVIIe siècle. La Salpêtrière à Paris. H. Gourdon de Genouillac. Paris à travers les siècles. Paris, 1882.

Encore fallait-il convaincre les fameux pauvres, éventuellement par la force, qu’ils n’avaient plus à marauder dans les rues de Paris, mais qu’un logis (une prison en fait !) les attendait dans le faubourg Saint-Marcel.

3. Le Premier « hôpital de la Pitié » ou « Notre-Dame-de-Pitié » (5e arrondissement) fut construit au début du XVIIe siècle, en face du Jardin du Roy (jardin des plantes) jusqu’à l’emplacement actuel de la Grande Mosquée de Paris). Il fut remplacé ensuite par l’hôpital actuel jouxtant la Salpêtrière.

Le 18 avril 1657, l’article premier de l’arrêt de la cour du Parlement pour l’exécution de l’établissement de l’Hôpital Général annonçait que « la Cour enjoint à tous les pauvres mendiants valides et invalides, de quelqu’âge qu’ils soient, de l’un et l’autre sexe, de se rendre dans la cour de l’hôpital de Notre-Dame de la Pitié pour être par les directeurs envoyés et départis aux maisons dépendantes dudit Hôpital Général, auxquelles ils y seront logés, nourris, entretenus, instruits et employés aux ouvrages, manufactures et services » [2]. Les pauvres mendiants qui ne se seraient pas rendus à la Pitié dans les délais prévus y seraient amenés de force par les officiers de police. L’article 4 interdisait de nouveau la mendicité « la peine du fouet contre les contrevenants, pour la première fois ; pour la seconde, des galères contre les hommes et garçons, et du bannissement contre les femmes et filles ».
La direction de l’Hôpital Général, pour le spirituel, fut confiée aux grands vicaires du chapitre de Paris, pour que les pauvres soient « catéchisés, instruits, et pour qu’il leur soit administré les sacrements ». La direction était donc partagée entre pouvoir spirituel et temporel, ce dernier prenant, pour la première fois en matière de gestion hospitalière, le pas sur le premier. C’était le début de la gestion hospitalière par le pouvoir laïc contre la gestion des « domus dei » (Hôtels-Dieu), ne dépendant que de l’Église.

Enfermer aussi les « filles débauchées »

En 1684, on décida que « les femmes d’une débauche et prostitution publique et scandaleuse, ou qui en prostituent d’autres, seront renfermées dans un lieu particulier destiné pour cet effet dans la maison de la Salpêtrière ». Cette mesure s’ajoutait à la destination plus classique, vers les colonies, que ces dames étaient chargées de peupler avec du bon sang français.
Ce n’était pas la première fois que la prostitution devenait la cible du pouvoir royal. Déjà Saint-Louis avait obligé les “filles folieuses” à porter une ceinture jaune ou dorée et François II avait tout simplement interdit leur négoce en 1560 au prétexte (assez fondé d’ailleurs) de limiter l’épidémie de syphilis qui faisait des ravages [5].
Ainsi Louis XIV, sans doute inspiré par son récent mariage morganatique avec la prude Mme de ­Maintenon, voulut épurer les rues de Paris de la « débauche publique et scandaleuse ». On créa alors tout un service de police des mœurs, chargé, jour et nuit, d’arrêter les filles et de les conduire au dépôt Saint-Martin, passage obligé des futures condamnées. Le lendemain, elles comparaissaient à l’audience du grand Chatelet, puis escortées par des archers, étaient menées en charrette, à travers les rues de Paris, à la vue et à la risée de tous, jusqu’à la Salpêtrière [3, 4].
Évidemment devant cette chasse organisée, les prostituées se cachèrent pour exercer leur talent, car redoublant d’efforts, le roi avait décidé d’incarcérer toutes les femmes publiques de Paris à partir de 1687. La Salpêtrière devint ainsi à la fois une maison d’assistance où l’on recevait les orphelins, les pauvres, les infirmes et les vieillards, et une maison de répression pour les prostituées, folles, voleuses, sorcières ou blasphématrices.

Et Bicêtre ?

Les origines de Bicêtre remontent au milieu du XIIIe siècle, époque à laquelle Louis IX fit don à une colonie de Chartreux d’un domaine situé sur le territoire de Gentilly : la “Grange aux Queulx”. En 1257, les religieux cédèrent leur domaine à Jean de Pontis, évêque de Winchester, qui y fit construire un castel, nommé Bicestre, puis Bicêtre. Les ruines du château furent rasées en 1632 sur ordre de ­Richelieu et Louis XIII fit bâtir, sur leur emplacement, un hôpital destiné à l’accueil des officiers et soldats invalides. Puis l’hôpital fut rattaché par Mazarin à l’Hôpital Général et, alors que la Salpêtrière recevait plutôt les femmes, Bicêtre devint alors la destination privilégiée des hommes. Rapidement, compte tenu de la population incarcérée, l’hôpital devint une prison comprenant des basses fosses pour enfermer les plus indisciplinés et les plus dangereux.
D’ailleurs, rapidement, les prisons de Bicêtre reçurent des condamnés pour d’autres motifs que la mendicité ou le vagabondage. Y étaient conduits les condamnés par sentence de police ou par lettres de cachet (sur ordre du roi). À Bicêtre, la prison comprenait quatre secteurs : “les Cabanons” pour les prisonniers pensionnaires, “la Force” et “la Correction” où étaient enfermés les mineurs de 13 à 25 ans et “les Cachots” auxquels Bicêtre dût sa terrible réputation (Fig. 2).

Figure 2 – Hôpital Royal de Bicêtre : vue panoramique par Jacques Rigaud.

Pour compléter l’ensemble : l’hôtel des Invalides

Louis XIV avait aussi le projet d’assurer les vieux jours de ses anciens soldats. Les édits royaux de 1670 demandaient la création d’un hôtel des Invalides destiné aux militaires âgés, blessés ou inaptes à la guerre pour que « ceux qui ont exposé leur vie et prodigué leur sang pour la défense de la monarchie passent le reste de leurs jours dans la tranquillité ». La construction fut décidée dans la plaine de Grenelle, hors des murs de la Cité. Libéral Bruant, architecte du roi, qui avait déjà été l’auteur de la rénovation de la Salpêtrière, commença les travaux en 1671 et les finit en 1674, ce qui fut un des chantiers les plus rapides de l’époque. Cependant dans ce premier édifice, l’église n’avait pas

té terminée. Il fallut reprendre la construction ; elle fut confiée par Louvois à Jules-Hardouin Mansart qui réalisa la fameuse coupole, prouesse architecturale qui ne fut terminée qu’en 1706. Les Invalides devenaient certes un hôpital militaire (1 500 pensionnaires portant l’uniforme), mais aussi une caserne et un monastère [5].

Figure 3 – Les plans initiaux de Jules-Hardouin Mansard prévoyaient également un aménagement de la cour d’honneur en arc de cercle et une colonnade monumentale qui n’ont jamais été réalisés.

Bilan

Néanmoins, “le grand renfermement des pauvres”, qu’il faut bien voir comme une entreprise humanitaire malgré sa brutalité, fut à terme un échec car l’Hôpital ­Général-prison n’a jamais eu les moyens financiers et médicaux de le satisfaire. Cependant, alors que les Hôtels-Dieu n’étaient que ­l’expression de la charité chrétienne dirigée par les évêques, l’Hôpital Général signait l’introduction du pouvoir politique et administratif dans la gestion des hospices.

Ainsi, ses conséquences laissèrent des traces majeures dans l’évolution de l’hospitalisation en France. D’abord sur le plan architectural : les Invalides, plus encore que le château de Versailles, caractérisent indiscutablement le style du plus long règne de l’histoire de France. Ensuite sur le plan politique : l’institution introduisait le concept d’assistance publique dans les obligations du pouvoir royal. Enfin sur le plan médical : la Salpêtrière et Bicêtre s’imposent aujourd’hui encore parmi les plus brillants des hôpitaux universitaires de l’AP-HP. 

 

Bibliographie

1. Geremek B. Les marginaux parisiens aux XIVe-XVe siècles. Flammarion, 1976, 353.
2. Archives de l’assistance publique. Hôpitaux de Paris, Code de l’Hôpital Général, fol. 471.
3. Carrez JP. Femmes en prison : étude de 309 internées à la Salpêtrière de Paris, d’après des interrogatoires de police (1678-1712). Université Paris XIII, 1993.
4. Carrez JP. Femmes opprimées à la Salpêtrière de Paris (1656-1791). Connaissance et savoirs, 2005.
5. Solard A, Histoire de l’hôtel royal des Invalides depuis sa fondation jusqu’à nos jours. Librairie militaire Dumaine, 2 volumes, 1845.