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BCG-ite : un cas de granulomatose systémique

Cas clinique

Contexte

M. P., 71 ans est hospitalisé en médecine interne pour un syndrome confusionnel fin octobre 2021. Il a pour antécédents une thalassémie, une polyarthrite rhumatoïde non traitée, une prostatite traitée récemment par ciprofloxacine et une fracture de l’humérus opérée. Un carcinome urothélial pT1 a également été diagnostiqué, traité par une résection trans-urétrale de vessie en septembre 2021 suivie d’une BCG-thérapie débutée le 23 octobre 2021. De plus, il existe un tabagisme actif, estimé à 50 paquets/année et une exogénose (deux verres de vin par jour). Il ne suit aucun traitement.

Retraité, ce patient vit à domicile avec sa femme. En perte d’autonomie (IADL 0,5/8 ; réponse au téléphone uniquement), il reste cependant indépendant dans les activités quotidiennes (ADL : 5,5/6). Sa femme signale tout de même des troubles mnésiques depuis plusieurs mois et deux chutes durant les six derniers mois. 

En se levant le 28 octobre 2021, il ressent une faiblesse des membres inférieurs associée à une sensation de flou visuel et un syndrome confusionnel motivant le transfert en hospitalisation. 

L’interrogatoire est peu contributif et une altération de l’état général est constatée. 

L’examen clinique à l’entrée est sans particularité, le poids et la taille sont respectivement de 60 kg et de 170 cm (IMC = 20,8 kg/m2).

 

Examens

Sur le plan biologique : 

• l’hémoglobine est à 10,2 g/dl, les plaquettes à 143 G/L, les globules blancs à 3,2 G/L avec une lymphopénie à 0,7 G/L ;

• la CRP est à 172 mg/l ;

• le ionogramme sanguin est normal ;

• la créatininémie est à 162 µmol/l pour une urée à 10,8 mmol/l ;

• l’albuminémie est à 35 g/l ;

• le bilan phosphocalcique est normal ; 

• les CPK sont à 46 UI/l ;

• la TSH, la vitamine B12 et les folates sont normaux.

À noter, une nette perturbation du bilan hépatique (ASAT à 134 UI/l, ALAT à 63 UI/l, GGT à 629 UI/l, PAL à 515 UI/l, la bilirubine est normale) motivant des explorations complémentaires : sérologies VHB et VHC négatives ; PCR CMV négative ; PCR EBV positive à 3 737 copies/ml. La PCR Covid-19 est négative ainsi que les sérologies VIH et syphilis.

L’ECBU est stérile sans leucocyturie significative.

Un scanner cérébral et abdomino-pelvien est réalisé sans anomalie, hormis un aspect infiltré de l’uretère pelvien droit correspondant à la zone pathologique biopsiée par son urologue. 

Sur le plan cognitif, la situation s’est progressivement améliorée, parallèlement à la régression spontanée du syndrome inflammatoire. Le patient regagne son domicile après 10 jours. 

Un bilan cognitif est réalisé à distance permettant d’objectiver des troubles cognitifs sévères sans dysthymie : 

• MMSE 9/30,

• horloge 0/7,

• BREF : 5/18

• et Mini GDS4 : 0/4. 

Du fait de l’aggravation du bilan hépatique (ASAT 291 UI/L, ALAT 112 UI/L, GGT à 1 083 UI/l, PAL à
822 UI/l ; TP normal), une échographie abdominale est réalisée, se révélant sans anomalie notable. Il existe, en parallèle, un amaigrissement de 5 kg en 1 mois. 

À cette étape du cas clinique, un élément de l’anamnèse permettait d’arriver au diagnostic.

En effet, la chronologie des événements fait suspecter un effet secondaire de la BCG-thérapie, en l’absence d’autres éléments patents en faveur d’un diagnostic différentiel ; la réactivation de l’EBV, modérée, n’expliquant pas l’ensemble du tableau. 

Un scanner de contrôle et une biopsie hépatique sont donc réalisés. 

 

Interprétations

Le scanner thoraco-abdomino-pelvien retrouve un aspect de miliaire, ainsi qu’une condensation calcifiée au niveau du segment apical du lobe supérieur droit avec une rétraction sous-pleurale d’allure séquellaire (Fig. 1). Il existe aussi une lésion de rehaussement homogène au niveau postéro-supérieur de la vessie mesurant 16 mm, liée à sa néoplasie. L’imagerie montre également une infiltration athéromateuse diffuse au niveau de l’aorte abdominale et thoracique avec des anévrismes partiellement thrombosés, une occlusion du tronc cœliaque et une sténose hyper-serrée de l’artère mésentérique supérieure avec collatéralité. 

La biopsie hépatique, quant à elle, met en évidence une hépatite granulomateuse épithélioïde et gigantocellulaire sans nécrose, compatible avec une BCG-ite. La PCR mycobacterium tuberculosis est négative. 

 

 

Traitement

En raison de cette suspicion de BCGite avec signes majeurs, une trithérapie anti-tuberculeuse est donc introduite comprenant Rifinah® (isoniazide + rifampicine) à 2 cps/jour et éthambutol 400 mg 2  cps/jour pendant 2 mois. Une bithérapie pendant 7 mois (Rifinah® à 2 cps/jour) est ensuite proposée. 

Une surveillance biologique régulière, ainsi qu’une consultation d’ophtalmologie sont programmées, du fait des thérapeutiques introduites. 

Un suivi gériatrique est également initié afin de prendre en charge les troubles cognitifs et de l’aspirine est débutée dans le contexte d’athéromatose diffuse. 

Pour sa néoplasie vésicale, la BCG-thérapie est formellement contre-indiquée faisant discuter l’usage ultérieur de la mitomycine. 

 

Point sur la BCG-thérapie 

Le bacille de Calmette et Guérin est une souche vivante atténuée de Mycobacterium bovis [1]. Son utilisation médicale est principalement réservée à la vaccination et à l’immunothérapie dans les cancers de vessie dont les données épidémiologiques et facteurs de risque sont résumés dans le tableau 1 [2]. 

 

 

Indications

Dans ce tableau pathologique de cancer, la présentation clinique est en général celle d’une hématurie macroscopique, mais celle-ci peut être microscopique. Des signes irritatifs ou une dysurie sont également possibles, associés parfois à des symptômes généraux ou en lien avec d’éventuelles métastases. Le diagnostic repose essentiellement sur le prélèvement histologique réalisé lors d’une cystoscopie. En général, un uroscanner est réalisé au préalable tandis que le recours à la cytologie urinaire n’est pas systématique [3]. La prise en charge des cancers de la vessie est avant tout guidée par l’invasion ou non de la musculeuse traduisant le distinguo entre les tumeurs superficielles et invasives. 

Dans les situations non invasives (surtout T1 à haut risque et tumeur in situ), le recours à la BCG-thérapie en instillation intra-vésicale est fréquent, souvent en complément de la résection transurétrale de la vessie en prévention des récurrences et de l’invasion loco­régionale. Elle est réalisée habituellement après cicatrisation de la muqueuse, dans le mois qui suit la résection, à raison d’une instillation par semaine initialement, puis avec un espacement progressif sur 36 mois. L’alternative est la mitomycine. L’action anti-tumorale de la BCG-thérapie repose sur une réaction d’hypersensibilité retardée contre les cellules cancéreuses [1].

 

Effets secondaires

Les effets secondaires sont possibles et peuvent conduire à l’arrêt du traitement dans 2,9 % des cas [4]. Ils peuvent être :

• locaux (cystite rapidement résolutive),

• loco-régionaux (prostatite granulomateuse, épididymite),

• systémiques (pneumopathie, hépatite, atteinte médullaire) 

• ou généraux (fièvre, lipothymie) [5].

La BCG-ite disséminée, elle, reste une complication rare (< 5 %) [6]. L’atteinte concerne en général un seul organe (72 %), mais des atteintes multiples sont possibles. La forte association des complications pulmonaires et hépatiques, comme dans le cas clinique détaillé ci-­dessus, ou entre l’atteinte médullaire et hépatique par exemple, est à noter. De plus, concernant la chronologie de survenue, les atteintes hépatiques, pulmonaires et péniennes sont précoces (1 semaine par rapport à la dernière instillation) tandis que les localisations vasculaires (52 semaines) ou ostéo-articulaires (68 semaines) sont plus tardives [4]. 

De rares cas d’atteintes ostéo-articulaires (infectieuses ou réactionnelles) [5] ou d’association à des manifestations auto­-immunes sont également décrites [6]. 

La dissémination hématogène est secondaire aux traumatismes urothéliaux répétés [1]. Le délai de survenue est très variable allant de quelques jours à plusieurs mois. 

Ces complications conduisent à contre-indiquer la BCG-thérapie dans les situations suivantes : 

• hypersensibilité connue au BCG, 

• tuberculose active, 

• immunodépression, 

• cytopénie 

• ou cystite radique [5].

 

Diagnostic

Le diagnostic repose sur l’analyse microbiologique (coloration Ziehl-Nielsen, culture sur milieu de Löwenstein-Jensen ou PCR) et anatomopathologique de l’organe cible. 

Cependant, Mycobacterium bovis peut ne pas être retrouvé sur le prélèvement sans pour autant écarter le diagnostic (près d’une fois sur deux). La mise en évidence d’un granulome gigantocellulaire sans nécrose caséeuse doit faire penser à une complication de la BCG-­thérapie [4]. 

En cas de signes majeurs faisant suspecter une atteinte viscérale, un scanner thoraco-abdomino-pelvien doit être effectué à la recherche d’une miliaire retrouvée dans un quart des cas.

 

Prise en charge

La prise en charge thérapeutique repose sur une trithérapie associant la rifampicine, l’éthambutol et l’isoniazide. Le pyrazimamide n’est pas utilisé, car M. bovis y est naturellement résistant. La durée du traitement est variable selon la sévérité (Tab. 2). Une thérapie prolongée (12 mois) est justifiée en cas d’atteinte vasculaire anévrysmale ou osseuse. Une courte (10-15 jours) corticothérapie d’appoint (0,5-1 mg/kg) dans les formes systémiques peut y être ajoutée [1]. 

La mortalité varie selon l’atteinte de moins de 3 % dans les formes localisées à 10 % dans les formes systémiques. 

Bien que rare, une granulomatose systémique dans un contexte de néoplasie vésicale traitée par BCG-thérapie doit faire discuter la possibilité d’une BCG-ite disséminée. 

 

L’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêt. 

 

Bibliographie

1.  Raffray L, Rivière P, Bonnet H et al., Granulomatous hepatitis revealing a Mycobacterium bovis widespread infection following intravesical BCG therapy. Rev Med Interne 2015 ; 36 : 626‑30. 

2.  Neuzillet Y, Geiss R, Caillet P et al., Epidemiological, pathological and prognostic characteristics of bladder cancer in elderly patients. Progres En Urol J Assoc Francaise Urol Soc Francaise Urol 2019 ; 29 : 840‑8. 

3.  DeGeorge KC, Holt HR, Hodges SC. Bladder Cancer: Diagnosis and Treatment. Am Fam Physician 2017 ; 96 : 507‑14. 

4. Cabas P, Rizzo M, Giuffrè M et al. BCG infection (BCGitis) following intravesical instillation for bladder cancer and time interval between treatment and presentation:
A systematic review. Urol Oncol 2021 ; 39 : 85‑92. 

5.  Miranda S, Verdet M, Vernet M et al. Acute reactive arthritis after intravesical instillation of bacillus Calmette-Guérin. Two case reports and literature review]. Rev Med Interne 2010 ; 31 : 558‑61. 

6.  Goulabchand R, Dufour S, Murez T et al., Systemic Bacillus Calmette-Guerin sepsis manifesting as autoimmunity, 17 months after an intravesical BCG-therapy. Med Mal Infect 2017 ; 47 : 558‑61. 

7. CMIT. Tuberculose. In E.PILLY 27e Édition. ALINEA Plus Ed 2020. pp 396-402.