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Cancer de la personne âgée : Avant l’évaluation oncogériatrique, les ADL et IADL sont déjà très informatifs.

POINTS FORTS

Les ADL et les IADL sont riches d’enseignement à toutes les étapes du parcours de soin, pour faire des diagnostics, anticiper les conséquences d’une perte d’autonomie, apprécier la qualité de vie, estimer le pronostic du patient et le risque de procédures de soins, définir des objectifs de prise en charge, mettre en place des plans de soins et de service et suivre leur adéquation au fil du temps.
Leur évaluation et leur maintien représentent donc bien des objectifs prioritaires en gériatrie.

 

Il y a déjà 50 ans, les activités de vie quotidienne (activities of daily living, ADL) et les activités instrumentales de vie quotidienne (instrumental activities of daily living, IADL) ont été élaborées pour décrire l’autonomie des personnes âgées [1, 2]. Ces deux échelles font depuis partie des dimensions clés de l’évaluation gériatrique standardisée, y compris dans le contexte spécifique de l’oncogériatrie : l’évaluation des actes de vie quotidienne y est recommandée [3, 4], et l’ADL et l’IADL sont les outils les plus utilisés à travers le monde pour évaluer le statut fonctionnel des personnes âgées atteintes de cancer [5]. Au-delà de documenter l’autonomie et les capacités fonctionnelles, l’intérêt de cette évaluation est multiple en gériatrie et notamment en cas de cancer, car elle fournit des informations riches au clinicien avant l’évaluation oncogériatrique complète.

Les 13 bonnes raisons de s’intéresser aux ADL et IADL

1- Les ADL et IADL permettent de faire un recueil des incapacités à compenser, et ainsi de programmer et financer la mise en place de soins et services sur le lieu de vie, dont elles servent aussi à contrôler l’adéquation au cours du temps (Tab. 1). Leurs items font notamment partie des domaines à évaluer pour définir le groupe iso-ressource (GIR), qui déterminera le niveau d’aide financière apporté en cas de demande d’allocation personnalisée à l’autonomie (APA). Mais ces échelles ne sont certainement pas que des outils utiles aux assistantes sociales et aux partenaires paramédicaux. Leur intérêt dépasse en effet largement la planification d’aides à la personne. Elles sont riches d’informations pour tous les médecins impliqués dans la prise en charge globale, tout au long du parcours de soin.

 

Tableau 1 – Items des activités de vie quotidienne et exemples de plans de soins et de services possibles pour les compenser.

 

 

2- ADL et IADL peuvent servir à faire des diagnostics supplémentaires et à définir alors de nouveaux objectifs de soins. Par exemple, si un patient de 88 ans, avec pour antécédent une HTA, une hernie hiatale et une cholécystectomie, ne sort plus faire ses courses et ne gère plus ses papiers, cela indique qu’il manque un ou plusieurs diagnostics. En effet, il faut corréler ces incapacités avec les déficiences et/ou les pathologies causales, sans rapporter le constat des incapacités au vieillissement seulement. Ainsi, chez ce patient :
– ne plus pouvoir marcher normalement peut être lié à une coxarthrose/gonarthrose, comme un syndrome extra-pyramidal, jusque-là négligés ;
– une difficulté à gérer ses papiers, ses médicaments, ou à utiliser le téléphone, peut témoigner d’une pathologie oculaire entravant la vision ainsi que de troubles cognitifs chroniques [6, 7]. L’identification de tous les mécanismes, souvent multiples, de la perte d’activité est donc une étape importante qui permettra d’en définir leur caractère évolutif ou non, et dans certains cas, de proposer des axes d’interventions supplémentaires, qui pourront parfois entraîner une réversibilité, au moins partielle, des pertes aux ADL/IADL.
C’est aussi pour cela que, dans une situation aiguë pouvant altérer le niveau d’autonomie, chez un patient non connu jusque-là (examiné aux urgences par exemple), il faut s’attacher à documenter les ADL et IADL antérieures (15 jours avant l’épisode aigu par exemple).

3- En cas de perte fonctionnelle empêchant l’effort physique, la perte d’autonomie doit aussi alerter sur la possibilité de pathologies masquées, qui s’expriment habituellement à l’effort. Par exemple, chez un patient parkinsonien dont la vitesse de marche est ralentie, la dyspnée d’effort d’une insuffisance cardiaque/respiratoire chronique, l’angor d’effort ou la claudication artérielle des membres inférieurs peuvent être absents. À l’occasion d’un stress aigu (comme une infection, mais aussi une chirurgie ou une chimiothérapie), ces pathologies méconnues peuvent se décompenser. Il y a donc un intérêt important à pouvoir les anticiper et à les rechercher avant d’entreprendre un traitement lourd.

4- Il faudra également dépister et diagnostiquer les conséquences pathologiques associées à chacune des incapacités aux ADL et IADL. Par exemple, une malnutrition incidente chez le patient qui ne fait plus ses courses ou qui prépare mal ses repas, une perte de mobilité ou une chute de celui pour qui les transferts sont devenus difficiles ; mais aussi des erreurs médicamenteuses, des troubles de l’exonération, des complications de l’incurie, un isolement social, de la maltraitance et des troubles thymiques… Ces conséquences de la perte d’autonomie peuvent alors induire le déclenchement d’autant d’interventions médico-psycho-­sociales. La perte aux ADL peut aussi conférer un risque supplémentaire de maladie veineuse thrombo-­embolique [8].

5- Par ailleurs, les ADL et IADL peuvent aider à estimer le risque de décès des personnes âgées. En gériatrie, plusieurs outils visent à évaluer la survie et le risque de décès à différents termes (de 1 à 10 ans) et dans différents contextes (patients ambulatoires au domicile, en institution, hospitalisés). Les ADL et IADL, ou certains de leurs items, font partie des critères à prendre en compte dans ces index pronostiques en termes de survie [9-11]. Ainsi, en oncogériatrie, ces outils peuvent aider à mettre en perspective le pronostic du cancer avec la survie et la mortalité compétitives liées aux comorbidités.

6- Les paramètres d’autonomie peuvent aussi participer à estimer le risque de complications en cas de chirurgie. Les ADL et IADL font partie des critères affectant le risque de complications post-­opératoires, d’entrée en institution et de décès après chirurgie [12].

7- Si le déclin aux ADL peut être prédictif du niveau de risque de diminution de la survie globale et de complications post-opératoires, y compris en oncogériatrie, la perte aux IADL pourrait aussi être utile pour évaluer le risque de toxicités et donc d’arrêt précoce des chimiothérapies [5, 13, 14].

8- Les ADL et IADL servent aussi à graduer l’intensité des toxicités des chimiothérapies (Common terminology criteria for adverse events, CTCAE 2017), pouvant conduire à des modifications de traitement en cas d’incidence importante sur les activités de la vie quotidienne. Par exemple, en cas de neuropathie iatrogène, l’apparition d’une répercussion sur les IADL fait coter la toxicité en grade 2, et en grade 3 en cas d’incidence sur les ADL. L’intensité de nombreux autres effets indésirables (différents types de douleur, atteintes musculaires et articulaires, troubles sensoriels, confusion, vertiges, fatigue…) est cotée de la même manière.

9- Du fait de leur influence sur plusieurs issues pronostiques, le caractère évolutif d’une perte aux ADL et IADL fait donc aussi partie des éléments que le clinicien peut prendre en compte pour définir le niveau d’engagement, concernant l’admission ou non en réanimation, lors d’une situation aiguë incidente ou prévisible (projet de CAR-T cells ou après une chirurgie lourde programmée, par exemple) [15].

10- De même, ils peuvent être utiles pour aider à décider de la pertinence d’explorations complémentaires : poursuite ou non du dépistage par mammographie d’un cancer du sein, indication ou non d’une coloscopie pour un bilan d’anémie ferriprive, réalisation ou non d’un myélogramme pour suspicion d’hémopathie… Ces examens seront en effet plus facilement réalisés chez les patients dont l’autonomie est préservée.

11- L’analyse des actes de vie quotidienne a aussi une utilité dans l’anticipation du parcours de soin, comme pour programmer précocement, chez les patients dont le profil d’activité antérieure était préservé, l’indication d’une pré-habilitation ou d’une rééducation avant/après une chirurgie lourde ou avant/pendant/après une chimiothérapie lourde.

12- Enfin, le maintien des ADL et IADL sont des déterminants importants de la qualité de vie pour les personnes âgées, donc des domaines indispensables à évaluer pour apprécier le niveau de la qualité de vie d’un patient, y compris en cas de cancer [16].

13- Ainsi, pour toutes ces raisons, le maintien des ADL et les IADL peut être considéré comme un objectif de soin prioritaire pour les patients âgés vulnérables atteints de cancer [17], ce qui correspond aux attentes des patients [18] et aux recommandations de prévention de la dépendance iatrogène [19].

En conclusion

Avant même l’évaluation oncogériatrique complète, les ADL et IADL sont des outils simples et rapides qui apportent déjà facilement aux cliniciens de nombreuses informations à toutes les étapes du parcours de soin, pour faire des diagnostics, anticiper les conséquences d’une perte d’autonomie, apprécier la qualité de vie, estimer le pronostic du patient et le risque de procédures de soins, définir des objectifs de prise en charge, mettre en place des plans de soins et de service et suivre leur adéquation au fil du temps (Tab. 2).

 

Tableau 2 – Apports des informations recueillies par les ADL et IADL pour les médecins.

Ces outils doivent donc être régulièrement évalués dans la pratique clinique et intégrés dans les programmes gériatriques de recherche clinique [20]. Le gériatre doit s’attacher à identifier leur mécanisme et leur évolutivité, si besoin proposer des interventions pour en assurer la réversibilité, au moins partielle, quand elle est possible, avant notamment de les utiliser comme outils à visée pronostique.

L’auteur déclare ne pas avoir de liens ­d’intérêt.

 

Bibliographie

1. Katz S, Downs TD, Cash HR, Grotz RC. Progress in development of the index of ADL. Gerontologist 1970 ; 10 : 20-30.
2. Lawton M, Brody E. Assessment of older people: self-maintaining and instrumental activities of daily living. Gerontologist 1969 ; 9 : 79–186.
3. Wildiers H, Heeren P, Puts M et al. International Society of Geriatric Oncology consensus on geriatric assessment in older patients with cancer. J Clin Oncol 2014 ; 32 : 2595-603
4. Hamaker M, Lund C, Te Molder M et al. Geriatric assessment in the management of older patients with cancer – A systematic review (update). J Geriatr Oncol 2022 ; 13 : 761-77.
5. Couderc AL, Boulahssass R, Nouguerède E et al. Functional status in a geriatric oncology setting: a review. J Geriatr Oncol 2019 ; 10 : 884-94.
6. Barberger-Gateau P, Commenges D, Gagnon M et al. Instrumental activities of daily living as a screening tool for cognitive impairment and dementia in elderly community dwellers. J Am Geriatr Soc 1992 ; 40 : 1129-34.
7. Barberger-Gateau P, Dartigues JF, Letenneur L. Four instrumental activities of daily living score as a predictor of one-year incident dementia. Age Ageing 1993 ; 22 : 457-63.
8. Engbers MJ, Blom JW, Cushman M et al. Functional impairment and risk of venous thrombosis in older adults. J Am Geriatr Soc 2017 ; 65 : 2003-8.
9. Walter LC, Brand RJ, Counsell SR et al. Development and validation of a prognostic index for 1-year mortality in older adults after hospitalization. JAMA 2001 ; 285 : 2987-94.
10. Lee SJ, Lindquist K, Segal MR, Covinsky KE. Development and validation of a prognostic index for 4-year mortality in older adults. JAMA 2006 ; 295 : 801-8.
11. Yourman LC, Lee SJ, Schonberg MA et al. Prognostic indices for older adults: a systematic review. JAMA 2012 ; 307 : 182-92.
12. Kim SW, Han HS, Jung HW et al. Multidimensional frailty score for the prediction of postoperative mortality risk. JAMA Surg 2014 ; 149 : 633-40.
13. Extermann M, Boler I, Reich RR et al. Predicting the risk of chemotherapy toxicity in older patients: the Chemotherapy Risk Assessment Scale for High-Age Patients (CRASH) score. Cancer 2012 ; 118 : 3377-86.
14. Hurria A, Togawa K, Mohile SG et al. Predicting chemotherapy toxicity in older adults with cancer: a prospective multicenter study. J Clin Oncol 2011 ; 29 : 3457-65.
15. Demiselle J, Duval G, Hamel JF et al. Determinants of hospital and one-year mortality among older patients admitted to intensive care units: results from the multicentric SENIOREA cohort. Ann Intensive Care 2021 ; 11 : 35.
16. Matelot D, Bell A, Geronimi L et al. Quality of life determinants in older patients with cancer: Results from a French prospective monocenter cohort. J Geriatr Oncol 2021 ; 12 : 282-89.
17. Harada T, Tsuji T, Tanaka M et al. Priority of the basic and instrumental activities of daily living in older patients with cancer prescribed rehabilitation: a cross-sectional survey. Support Care Cancer 2023 ; 31 : 503.
18. Bellera C, Cantarel C, Mertens M et al. Expectations and priorities of older patients with cancer: The PRIORITY multicenter cohort study. Annals of Oncology 2024 ; 35 (suppl_2): S1077-S1114.
19. Haute Autorité de santé 2017. Prévenir la dépendance iatrogène liée à l’hospitalisation chez les personnes âgées.
20. Paillaud E, Soubeyran P, Caillet P et al. Multidisciplinary development of the Geriatric Core Dataset for clinical research in older patients with cancer: A French initiative with international survey. Eur J Cancer 2018 ; 103 : 61-68.