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Directives anticipées : lever les équivoques

Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité par le Conseil d’État, à propos d’un litige opposant la famille d’un patient dans le coma et une équipe médicale de l’hôpital de Valenciennes, le Conseil constitutionnel [1] a déclaré conforme à la Constitution les dispositions suivantes de l’article 1111-11, issu de la loi du 2 février 2016 [2]  : 

« Les directives anticipées s’imposent au médecin pour toute décision d’investigation, d’intervention ou de traitement, sauf […] lorsque les directives anticipées apparaissent manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale.

La décision de refus d’application des directives anticipées, jugées par le médecin manifestement inappropriées ou non conformes à la situation médicale du patient, est prise à l’issue d’une procédure collégiale définie par voie réglementaire et est inscrite au dossier médical. Elle est portée à la connaissance de la personne de confiance désignée par le patient ou, à défaut, de la famille ou des proches. »

Le litige porte sur le cas d’une personne de 43 ans, hospitalisée à Valenciennes à la suite d’un traumatisme crânien sévère, plongée depuis le 18 mai dans le coma, sous respiration, nutrition et hydratation artificielles. S’appuyant sur les signes cliniques et les données de l’imagerie, l’équipe médicale a décidé le 15  juillet d’arrêter les thérapeutiques permettant le maintien artificiel de la vie, estimant que la poursuite des traitements relevait d’une obstination déraisonnable et ne pourrait déboucher que sur une qualité de vie qualifiée de « catastrophique ». Or, deux ans plus tôt, ce monsieur avait écrit à son médecin dans une lettre les directives anticipées suivantes : « Je souhaite que l’on continue à me maintenir en vie même artificiellement dans le cas où j’aurais perdu définitivement conscience » [3]. C’est en s’appuyant sur ces directives que la famille s’oppose à la décision de l’équipe médicale.

 

Une justification éthique de la loi

Tout commentaire à propos de cette affaire se doit de distinguer soigneusement deux niveaux distincts : le niveau général correspondant à l’avis du Conseil constitutionnel et le niveau singulier de la personne hospitalisée à Valenciennes dans un état comateux au sujet de laquelle aucun jugement spécifique n’a encore été rendu, la procédure étant actuellement engagée dans le cadre du Conseil d’État.

Concernant la décision du Conseil constitutionnel, l’enjeu était de taille puisqu’il lui était demandé si certaines dispositions de la loi votée en 2016 étaient conformes à la Constitution et notamment la coexistence de deux d’entre elles : l’obligation pour le médecin d’obéir aux directives anticipées et la possibilité qui lui est laissée de ne pas s’y soumettre dès lors qu’il les juge, après consultation collégiale, inappropriées ou non conformes à la situation médicale. Les personnes requérantes invoquaient, en cas de non-respect par le médecin des directives anticipées, une atteinte à la liberté personnelle, à la liberté de conscience et finalement à la dignité de la personne humaine. Le Conseil constitutionnel a alors dû se livrer à un exercice de justification éthique des dispositions légales, en soulignant que le législateur avait estimé que les directives anticipées « ne pouvaient s’imposer en toutes circonstances, dès lors qu’elles sont rédigées à un moment où la personne ne se trouve pas encore confrontée à la situation particulière de fin de vie dans laquelle elle ne sera plus en mesure d’exprimer sa volonté en raison de la gravité de son état. Ce faisant, il a entendu garantir le droit de toute personne à recevoir les soins les plus appropriés à son état et assurer la sauvegarde de la dignité des personnes en fin de vie ». Le Conseil rejette l’allégation selon laquelle les conditions permettant au médecin d’écarter des directives anticipées seraient imprécises et ambiguës. Il décide que le législateur n’a enfreint par ces dispositions restrictives aux droits des malades ni le respect de la liberté ni le respect de la dignité de la personne humaine. Il précise enfin qu’en cas de contestation, le recours au Juge est toujours possible.

 

Esprit de la loi et ambiguïtés du texte

Il est vrai que dans la communication faite au moment de la promulgation de la loi du 2 février 2016 « ouvrant de nouveaux droits pour les malades en fin de vie », l’accent avait été largement mis sur le respect par le médecin des directives anticipées et moins sur les exceptions concernant soit les situations d’urgence vitale, soit les situations rendant ces directives inappropriées. Ainsi, comment refuser un acte de réanimation à une personne qui déclarerait qu’elle ne voudrait « ni tuyaux ni perfusions » alors même que son état d’asphyxie est lié à une fausse route alimentaire ? Reste l’appréciation des situations rendant ces directives inappropriées : même si le Conseil constitutionnel déclare que ces dispositions ne sont ni imprécises ni ambiguës, il n’est guère possible d’établir la liste des critères médicaux cernant de manière générale le caractère inapproprié des directives et l’obstination déraisonnable qui se fondent sur un examen collégial au cas par cas des données de l’examen clinique, des données de l’imagerie, et aussi d’une appréciation souvent difficile de la « qualité de la survie ». En outre, la philosophie générale des lois de fin de vie de 2005 et de 2016 fut surtout guidée par le souci de remédier au «  mal mourir », de ne pas poursuivre des traitements « inutiles, disproportionnés ou n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie », bref de fuir toute obstination déraisonnable. À ce titre d’ailleurs l’article 1110-5-1 du Code de la santé publique a un libellé ambigu puisqu’il énonce à la fois que les actes médicaux « ne doivent pas être mis en œuvre ou poursuivis lorsqu’ils résultent d’une obstination déraisonnable » mais qu’ils peuvent être suspendus dès lors qu’ils « apparaissent inutiles, disproportionnés ou lorsqu’ils n’ont d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie ». Ainsi, l’obstination déraisonnable peut faire l’objet d’une double lecture soit qu’on la considère comme interdite (doivent), soit qu’on la considère comme optionnelle (peuvent). En fait, la loi avait essentiellement pour objectif d’éviter l’obstination déraisonnable soit qu’elle relève d’une appréciation médicale, soit qu’elle relève du malade dès lors qu’il considère que les actes médicaux qui lui sont prodigués n’ont plus de sens pour lui et doivent être suspendus. La lecture de De l’esprit des lois de Montesquieu [4] enseigne qu’elles ne peuvent se départir de leur contexte spatial et temporel, et notamment des mœurs, ce que nous appellerions aujourd’hui le climat sociétal. Or les lois de fin de vie ayant été précisément créées dans le souci de ne pas prolonger “inutilement” la vie, de conforter la condamnation de l’obstination déraisonnable et de donner au patient le droit de demander la suspension des traitements qu’il estimerait inadaptés à son état, toute demande orientée vers le maintien artificiel de la vie ne pouvait apparaître que comme une incongruité dès lors que l’équipe médicale estimait qu’il s’agirait là d’une obstination déraisonnable.

 

Suspension des traitements, prolongement des soins

C’est alors que l’affaire passe du niveau général (les dispositions contestées de la loi ne sont pas anticonstitutionnelles) traité par le Conseil constitutionnel au niveau singulier qui va être traité par le Conseil d’État : c’est-à-dire le cas de cet homme quadragénaire [5] victime d’un accident avec traumatisme crânien sévère, plongé, semble-t-il en coma artificiel, maintenu en vie sous assistance respiratoire et nutrition artificielle (sans doute parentérale) et dont l’équipe médicale estime que la poursuite de la réanimation relève d’une obstination déraisonnable qualifiée aussi dans la littérature éthique d’acharnement thérapeutique ou encore de soins futiles. La décision du Conseil constitutionnel ne remettant pas en cause les dispositions de la loi de 2016, c’est donc en se fondant sur cette loi que le Conseil d’État aura à prononcer son jugement. Tout permet de penser que la haute juridiction se rangera à l’avis de l’équipe médicale, car, sauf expertise médicale contradictoire, elle considérera que la poursuite du maintien artificiel de la vie relèverait d’une obstination déraisonnable.

Il faut d’abord rappeler que l’équipe médicale procédera alors non à une suspension des soins (qui doivent être prodigués jusqu’aux derniers instants de la vie), mais à une suspension des traitements permettant le maintien artificiel de la vie. Il faut à ce sujet rappeler que la loi du 2 février 2016 a pour la première fois distingué les traitements et les soins et a introduit cette distinction dans la dernière version de l’article 1110-5 du Code de la santé publique. Cette distinction a eu deux conséquences : la première est que la suspension des thérapeutiques ne signifie pas l’abandon du malade qui doit être accompagné des soins nécessaires au contrôle de toute souffrance jusqu’à sa mort qui certes interviendra inexorablement et de manière sans doute rapide. La deuxième conséquence de cette distinction est que le législateur a fait le choix de considérer que « la nutrition et l’hydratation artificielles constituent des traitements qui peuvent être arrêtés » en cas d’obstination déraisonnable. Cette disposition avait fait l’objet de quelques débats, car la nutrition et l’hydratation pouvaient être considérées comme des soins relevant des besoins physiologiques fondamentaux. Il a pu être argumenté que les besoins fondamentaux répondaient à la faim et à la soif et que ces sensations disparaissaient dans le coma ou encore dans les états de santé très critiques. Il a aussi été considéré qu’il serait illogique alors, en suspendant la respiration artificielle, de contribuer paradoxalement à la prolongation de la vie par une nutrition artificielle.

Il faut par ailleurs souligner qu’il est impossible d’apporter tout commentaire à l’évaluation éthique de la décision médicale proposée par l’équipe de Valenciennes. Seule une connaissance approfondie du dossier médical qui ne relève en aucun cas du domaine public pourrait permettre d’émettre une opinion. Mais ceci montre la complexité du concept d’obstination déraisonnable qui nécessite une évaluation au cas par cas.

 

Passer du cadre éthique à la pratique

Reste l’enseignement à tirer de cette situation. Elle montre d’évidence qu’une société doit clairement énoncer que le maintien artificiel de la vie ne sera accepté que si l’équipe médicale estime qu’il ne relève pas d’une obstination déraisonnable. Ceci pourrait conduire à une réflexion éthique plus approfondie sur ce concept et sur son ressenti par l’ensemble des citoyens en précisant par des exemples multipliés et anonymisés, lors de rencontres éthiques, des raisons qui conduisent à considérer que la poursuite des traitements n’a aucun sens. Comment définir ce qu’est une qualité de vie « catastrophique », qu’il vaudrait mieux qualifier d’inacceptable : ce peut être un consensus dans le contexte d’une concertation et d’une alliance toujours souhaitable du malade (de ce qu’il dit s’il est conscient et de ce qu’il a écrit s’il est inconscient et s’il a rédigé des directives anticipées), de la personne de confiance, de la famille, de l’équipe médicale. Ce peut être difficile en cas de désaccord entre la famille d’un malade inconscient et l’équipe médicale. Le concept d’obstination déraisonnable qui fait consensus sur le plan général a besoin d’être décliné dans des situations concrètes. Il faudrait aussi aborder clairement et franchement le coût économique et humain de l’occupation d’un lit de réanimation au cas où la réanimation n’aurait aucun sens. On pourrait aussi imaginer avec la facilité des communications audio-visuelles qu’en cas de contestation d’une famille, l’équipe concernée propose de soumettre le cas à une autre équipe distante. En somme, il faudrait privilégier la concertation avant le recours au juge. Ceci permettrait aussi d’éviter qu’une famille plongée en grande souffrance se sente dépendante d’un « pouvoir » médical qu’elle vivrait comme excessif, voire arbitraire. Il faudrait enfin que les formulaires proposés au public pour rédiger des directives anticipées indiquent de manière claire et évidente (et non en renvoi en bas de page [6]) que les directives anticipées ne seront pas respectées en cas d’urgence vitale et si le médecin les considère comme inappropriées, notamment dans le cas où elles demanderaient un maintien artificiel en vie qui relèverait d’une obstination déraisonnable. Il est impératif que les structures de soins ou médico-sociales qui se sont lancées dans une promotion active du recueil des directives anticipées encadrent par du personnel médical ou soignant la rédaction de ces directives. Le rôle des médecins généralistes pourrait aussi être majeur, car ils sont les plus proches des personnes malades. Faute de ces précisions qui entrent dans le cadre de l’information « claire, loyale, appropriée » due aux citoyens, les directives anticipées risquent de perdre leur crédibilité, ou de devenir de simples formalités destinées à atténuer l’angoisse de la finitude.

 

L’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêt. 

Bibliographie

1. Conseil constitutionnel. Décision n° 2022-1022 QPC du 10 novembre 2022. Disponible sur : www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2022/20221022QPC.htm.

2. Loi n° 2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie. JORF n° 0028 du 3 février 2016.

3. Porcon R, Moreau W. Valenciennes : des médecins peuvent-ils débrancher un patient qui souhaite impérativement rester en vie ? France Bleu Nord 2022. Disponible sur : www.francebleu.fr/infos/faits-divers-justice/valenciennes-des-medecins-peuvent-t-ils-debrancher-un-patient-qui-souhaite-imperativement-rester-en-1668016435.

4. Montesquieu. De l’esprit des lois. Paris : Garnier-Flammarion, 2019.

5. De Cossette P, Dagnet A-L. Fin de vie : pourquoi le cas de l’hôpital de Valenciennes, qui veut aller à l’encontre des directives anticipées d’un patient, est exceptionnel. France Info 2022.

6. Ministère chargé de la santé. Modèle de directives anticipées (élaboration, modification, annulation) (Modèle de lettre). Disponible sur : www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/R44952.