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Faut-il rendre la vaccination obligatoire dans les Ehpad ? – Une table ronde pour repenser la couverture vaccinale

Présentation

La question de la couverture vaccinale dans les Établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, les Ehpad, reste au cœur des préoccupations sanitaires. Le 5 décembre 2024, une table ronde réunissant des experts de divers horizons lors de la journée Ginger a permis d’approfondir les enjeux liés à la vaccination dans ces structures. Faut-il rendre la vaccination obligatoire pour les résidents et les professionnels de santé ? Une question complexe qui suscite à la fois des interrogations éthiques, juridiques et sociétales.

 

Résultats d’enquête

Cette table ronde a débuté par la présentation des résultats de l’enquête “Vaxisenior” menée par le groupe Ginger destinée aux professionnels de santé, impliqués dans la vaccination des résidents en Ehpad. Cette étude, largement diffusée par des organisations comme les Centres régionaux en antibiothérapie, la Société française d’hygiène hospitalière, l’association des médecins coordonnateurs, la mission nationale Primo, les Centres d’appui pour la prévention des infections associées aux soins, et Vidal campus, a permis de toucher un large éventail de professionnels de santé, des médecins, des infirmiers, et des acteurs de la ville. Le constat est sans ­appel : les professionnels se sentent concernés.

La vaccination dans une société individualiste

Les discussions ont ensuite porté sur la perception de l’intérêt de la vaccination d’un point de vue individuel versus populationnel. D’un point de vue individuel, l’acte vaccinal dépend souvent de la perception de la gravité de la maladie et de l’efficacité du vaccin par le résident ou le soignant. La balance bénéfice/risque est alors prise en compte. La politique vaccinale, quant à elle, touche à des considérations populationnelles plus larges. Les enjeux médico-­économiques et la notion d’intérêt public sont alors considérés dans cette décision.
L’un des points de tension réside dans le rapport entre liberté individuelle et responsabilité collective. Marc Burquin, conseiller stratégie à la Fédération hospitalière de France, a souligné qu’il n’existe aucune obligation juridique à la vaccination, ni pour les résidents, ni pour le personnel soignant. Le paradoxe réside dans le fait que, même si un nombre important de professionnels se déclarent en faveur de l’obligation vaccinale, le taux de couverture reste insuffisant, et cette stagnation n’est pas sans conséquence pour la santé publique. Il indique que « le taux de vaccination des résidents atteint environ 80 %, mais stagne et régresse même chaque année. Cela est encore plus préoccupant pour les professionnels de santé, où seuls 20 à 30 % sont vaccinés ». La progression de l’hyperindividualisme (« je suis en bonne santé donc pas besoin de me vacciner ») doit-il alors nous pousser à rendre obligatoire la vaccination ?

Le consentement éclairé et le respect de la liberté individuelle

Une autre question éthique importante soulevée par la Dr Odile Reynaud-Levy, gériatre et médecin coordonateur en Ehpad, concerne le consentement éclairé, en particulier pour les résidents souffrant de troubles cognitifs. Elle explique que 60 % des résidents en Ehpad en présentent, ce qui rend difficile la prise de décision autonome quant à la vaccination. Les familles et les proches, bien qu’étant souvent critiques envers la vaccination, acceptent cette dernière pour la protection de leurs proches vulnérables. Cette dualité souligne la complexité du débat : faut-il imposer la vaccination aux résidents dans le cadre de leur protection, ou respecter leur libre choix, même si le consentement peut être biaisé par la prise en charge familiale ou l’absence de compréhension complète ?

Les leviers et freins à la vaccination dans les Ehpad

La question de savoir comment augmenter la couverture vaccinale dans les Ehpad a été abordée sous plusieurs angles. Si la vaccination obligatoire semble être une solution, des experts comme le sociologue Jérôme Gaillaguet ont souligné que l’obligation vaccinale pourrait entrer en conflit avec les principes de consentement et de liberté individuelle. Toutefois, certains acteurs ont estimé que, dans un contexte de forte responsabilité sanitaire et de surcroît économique, l’obligation pourrait devenir un levier incontournable. « Si les preuves scientifiques démontrent un effet positif sur la santé publique, il ne serait pas illégitime d’imposer la vaccination. Mais sans cela, l’incitation et la responsabilisation des professionnels suffisent », indique Marc Burquin. Pourtant, Jérôme Gaillaguet a pointé un paradoxe : « L’obligation vaccinale pose une contradiction avec le principe de consentement. C’est un reflet des tensions dans nos sociétés, entre la responsabilité individuelle et l’obligation collective ». Il a ajouté que cette question est symptomatique de la crise plus profonde traversée par les sociétés modernes, où l’injonction à la liberté individuelle cohabite avec la nécessité de responsabilités collectives.
La Dr Nathalie Weil, hygiéniste, a insisté sur la culture vaccinale au sein des Ehpad, en précisant « qu’il faut une véritable politique vaccinale dans chaque établissement, et cela commence par les responsables de l’établissement. Les médecins coordonnateurs et les infirmières doivent montrer l’exemple ». Elle a aussi abordé le rôle fondamental de la communication pour lever les réticences, en rappelant que beaucoup de résistances peuvent être surmontées par une vulgarisation de l’information scientifique. La formation des professionnels travaillant dans les Ehpad (infirmiers, aides-soignants) est également un levier pour permettre l’augmentation de la couverture vaccinale. L’information des résidents et leurs proches doit être également développée en mettant en place des outils concrets : informations sur le dossier CERFA d’admission en Ehpad, interaction avec le médecin traitant, courriers d’information, etc.
Jérôme Gaillaguet rappelle que les personnes hésitent souvent en raison d’un manque d’information ou d’une certaine méfiance à l’égard des autorités sanitaires, « Les médias et les réseaux sociaux jouent un rôle majeur dans cette dynamique, mais il faut comprendre que la plupart des sceptiques ne sont pas des antivax radicaux. Ils sont simplement indécis et manquent d’informations. »

La nécessité d’un changement législatif  et organisationnel

Les intervenants ont également insisté sur l’importance de ré-­organiser les Ehpad pour renforcer cette couverture vaccinale. Le Dr Odile Reynaud-Levy a évoqué l’enjeu majeur de la rémunération des médecins coordonnateurs et la nécessité de revoir les critères de financement des établissements, en particulier en matière de temps et de personnel, « Il faut que le temps gagné en évitant des épidémies soit rémunéré. » De plus, tous les Ehpad n’ont pas de médecin coordonnateur, alors qu’ils ont un rôle majeur dans la prévention et la gestion des risques.
Il est également nécessaire de mieux former les professionnels. La Dr Odile Reynaud-Levy et la Dr Elisabeth Botelho-Nevers proposent que des formations sur la vaccination et ses effets soient organisées et que ces dernières soient déclarées dans les rapports d’activité annuels des médecins coordonnateurs. La formation des plus jeunes – médecins ou infirmières – au cours de leur cursus doit également être une priorité. Un arsenal d’outils doit être mis en place afin de renforcer cette vaccination. Marc Burquin a rappelé qu’en France, aucune obligation légale contraignant les soignants à se vacciner n’existe réellement, bien que les risques de transmission soient indéniables. De plus, les résidents d’Ehpad sont à leur domicile, et il n’est donc pas possible de leur imposer quelque chose qui ne le serait pas à la population générale. Selon lui, une réglementation plus stricte, associée à un renforcement des moyens alloués à la prévention dans les Ehpad, permettrait d’améliorer la situation. Des propositions telles que l’introduction d’un référent vaccination dans chaque établissement ou la mise en place d’un système de suivi rigoureux du statut vaccinal des professionnels de santé ont été avancées.

 

Conclusion : un défi de société

Au terme de cette table ronde, un consensus a émergé : la vaccination dans les Ehpad ne doit pas reposer sur l’obligation, mais sur une approche globale de sensibilisation et d’incitation. Il est important d’évaluer les bénéfices et les risques de l’obligation vaccinale dans un cadre éthique tout en cherchant des solutions alternatives pour améliorer les couvertures vaccinales. Le débat est complexe et nécessite une approche pragmatique, mais aussi une réflexion approfondie sur les principes éthiques en jeu, car l’essentiel est de garantir une protection des résidents, tout en respectant le principe du consentement et de la liberté individuelle.
Les discussions à venir devront donc porter sur les moyens de renforcer l’engagement de tous les acteurs, professionnels de santé, familles, et autorités publiques, dans un cadre législatif et organisationnel adapté aux enjeux sanitaires actuels.

Remerciements aux intervenants et participants pour leurs contributions précieuses à ce débat.

Les autrices déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt.