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La clozapine en gériatrie : comment optimiser la balance bénéfice/risque ?

Résumé
La clozapine a une efficacité clairement démontrée pour les personnes présentant une schizophrénie résistante et/ou intolérantes aux autres antipsychotiques (maladie de Parkinson, maladie à corps de Lewy). Même si les doses utilisées en gériatrie sont souvent plus faibles que dans des populations plus jeunes, la clozapine doit être considérée comme un médicament à index thérapeutique étroit. Une surveillance rigoureuse est justifiée du fait des nombreuses interactions métaboliques. Sa forte charge anticholinergique augmente le risque de pneumopathie d’inhalation ou d’occlusion. La connaissance de ces points de vigilance permet de garantir une balance bénéfice/risque favorable.

Contexte

Depuis son autorisation de mise sur le marché (AMM) en 1991 en France, la clozapine reste la seule molécule antipsychotique dont l’efficacité sur les symptômes psychotiques est très clairement démontrée pour les personnes présentant des troubles résistants et/ou intolérantes aux autres antipsychotiques [1]. Son usage est associé à une réduction bien documentée du risque suicidaire, et plus généralement de la mortalité toutes causes confondues [2]. Pourtant, les représentations des professionnels de santé concernant ce traitement sont souvent caractérisées par une surévaluation des risques au détriment de ces bénéfices, avec pour conséquence une sous-utilisation et des délais souvent très longs avant son introduction [3-5].
En gériatrie, ne pas prescrire de clozapine peut aussi représenter une vraie perte de chance pour certains patients. Si les modalités de prescription demandent des adaptations, les principes de base pour un usage efficace et sécurisé ne diffèrent pas fondamentalement de ceux à respecter dans des populations plus jeunes [2]. Comme pour tout médicament à index thérapeutique étroit, la connaissance de ces principes et des points de vigilance permet de garantir le maintien d’une balance bénéfice/risque favorable.

Clozapine en gériatrie : quels profils cliniques ?

Les indications de la clozapine en gériatrie concernent deux profils distincts de pathologies [2, 6]. D’une part, on retrouve des personnes avec un trouble psychiatrique chronique ayant débuté à l’âge adulte : schizophrénie résistante au traitement avant tout, mais aussi des indications hors AMM comme des formes résistantes de trouble bipolaire. Ces personnes sont le plus souvent traitées depuis des années avec des posologies modérées à fortes. Les enjeux de la prescription de clozapine portent essentiellement sur l’adaptation du traitement à des changements de mode de vie et à la survenue de pathologies intercurrentes.
D’autre part, on retrouve des personnes présentant une pathologie neurodégénérative (maladie de Parkinson, maladie à corps de Lewy). Dans ces situations, le traitement a été le plus souvent récemment initié ou est en cours d’initiation, avec en règle générale de faibles posologies. Les enjeux de la prescription de clozapine portent essentiellement sur la minimisation des effets indésirables.
Ces deux populations ont en commun d’être souvent polymédiquées et en situation de fragilité. Même si la plupart des effets indésirables de la clozapine sont dose-­dépendants, leur surveillance et leur gestion sont comparables dans ces deux groupes.

Un métabolisme sous influence

À posologie équivalente, la clozapinémie peut être très variable d’une personne à l’autre et chez une même personne. En effet, la clozapine est métabolisée essentiellement par le cytochrome P450 CYP1A2, dont l’activité est influencée par de nombreux facteurs inducteurs ou inhibiteurs (Fig. 1) [7-9]. La surveillance de la clozapinémie est donc requise pour toute prescription de clozapine, même à faibles doses. En effet, il est indispensable de disposer d’une clozapinémie de base pour pouvoir interpréter correctement la survenue d’effets indésirables ou d’une perte d’efficacité liées à des variations de concentration plasmatique.
La fourchette recommandée est de 350-600 ng/ml quand le traitement est prescrit pour une ­schizophrénie. Le traitement peut être efficace avec des concentrations nettement plus faibles, mais le bas de la fourchette doit être atteint pendant au moins 3 mois avant d’évoquer une résistance. Inversement, la clozapine est un médicament à index thérapeutique étroit, et le haut de la fourchette ne doit pas être dépassé, car il est très proche de la dose toxique [7].

Situations à risque

Il est crucial de garder en mémoire que les effets inducteurs ou inhibiteurs ne sont pas exclusivement liés à des interactions médicamenteuses, vis-à-vis desquelles les prescripteurs sont en règle générale vigilants en gériatrie. Deux situations particulières justifient une surveillance rapprochée. Il s’agit tout d’abord des situations où la consommation de tabac varie [7]. Typiquement, les périodes à risque sont l’entrée ou la sortie d’hospitalisation, ou de tout lieu avec un accès restreint au tabac. Lors de l’entrée, du fait de la perte de l’effet inducteur, des doses habituellement bien tolérées peuvent devenir toxiques avec l’apparition inexpliquée d’effets indésirables. Inversement, lors de la sortie, des rechutes symptomatiques peuvent survenir, car la dose efficace sans tabac ne l’est plus quand l’effet inducteur redevient effectif. Dans une moindre mesure, des variations de la consommation de café peuvent avoir l’effet inverse, car le café est en compétition métabolique avec la clozapine au niveau du CYP1A2, et une augmentation de la consommation peut entraîner un surdosage.
L’autre situation à haut risque est la survenue d’une pneumopathie, et plus généralement, de toute infection sévère et/ou syndrome inflammatoire systémique, du fait des effets inhibiteurs des cytokines sur le CYP1A2 [10, 11]. Si en plus, la personne arrête de fumer au même moment, toutes les conditions sont réunies pour un surdosage. Il est actuellement recommandé, dans l’attente de la clozapinémie, de réduire de moitié la posologie de clozapine et de surveiller l’apparition de signes de surdosage (dysarthrie, myoclonie, ataxie, crise convulsive, coma…).

Un risque hématologique surévalué ?

Le risque d’agranulocytose est l’événement indésirable immédiatement associé à la prescription de clozapine par tous les professionnels de santé. Les règles actuelles de surveillance hématologique contribuent à ces représentations, du fait de leur fréquence mensuelle maintenue, quelle que soit la durée antérieure de traitement.
Pourtant, les études récentes confirment que le risque d’agranulocytose est maximal pendant les premiers mois de traitement, et devient ensuite comparable à celui des autres antipsychotiques [12]. Ainsi, une méta-analyse incluant près de 500 000­­ personnes traitées par clozapine a montré que 38 % des cas surviennent le 1er mois après l’initiation, 56 % dans les 2 mois, et 84 % dans les 18 premières semaines [13]. La prévalence de l’agranulocytose (< 500 neutrophiles/mm3) était de 0,9 %, avec un taux de létalité de 2,8 %. Plusieurs pays ont déjà assoupli la réglementation permettant un espacement des bilans hématologiques après la période à risque [14].
La neutropénie bénigne ethnique est aussi un frein à la prescription de clozapine. Plusieurs pays ont adapté les normes hématologiques permettant aux personnes concernées d’avoir accès à la clozapine [14]. Dans l’attente de l’adaptation des normes en France, il faut privilégier les prises de sang en post-prandial ou après un exercice physique, et la prescription de lithium à très faibles doses peut être envisagée [15].

Une titration lente pour prévenir les effets immuno-allergiques

Lors de l’introduction, la clozapine peut induire des effets indésirables immuno-allergiques avec un gradient de sévérité allant d’événements fréquents et bénins jusqu’à des événements rares, mais mettant en jeu le pronostic vital [11]. Leur survenue est favorisée par la titration rapide ou la co-prescription d’inhibiteurs métaboliques [7]. Il faut notamment être vigilant en cas de co-prescription d’acide valproïque et de ses métabolites, qui a un effet inhibiteur lors de la titration (Fig. 1). Schématiquement, on est dans une situation comparable à celle de la lamotrigine.
Lors de la première introduction, une titration la plus lente possible permet de minimiser ce risque, et doit être systématiquement envisagée pour éviter la survenue d’un effet indésirable contre-indiquant la réintroduction de la clozapine, ce qui est souvent une vraie perte de chance. Chez une personne âgée, débuter à 12,5 mg et augmenter par palier à la même dose toutes les semaines peut être recommandé comme le rythme de titration à ne pas dépasser. On ne dispose pas en France de formes galéniques adaptées, comme la suspension buvable ou des comprimés à 6,25 mg. Il est néanmoins possible de fractionner les comprimés de 25 mg pour arriver à ces posologies, dans l’idéal avec une préparation magistrale en pharmacie.

Myocardite

La survenue d’une myocardite est l’événement le plus sévère. Son incidence est < 0,1 % (sauf en Australie où elle est > 1 %, peut-être du fait de pratiques de prescription avec titration rapide) [16]. Le risque de myocardite pourrait augmenter avec l’âge, mais toutes les études ne confirment pas ce résultat. Une myocardite doit être systématiquement envisagée devant la survenue d’une fièvre ou d’un syndrome grippal et/ou de tout autre symptôme cardiaque, pulmonaire ou digestif. Une asthénie très intense ou une tachycardie sont banales à l’introduction, mais peuvent aussi être des symptômes de myocardite. L’un de ces signes impose le dosage de la CRP et de la troponine. Un ECG normal ne permet pas d’éliminer le diagnostic, qui est confirmé par une échographie/IRM cardiaque. Les effets indésirables immuno-allergiques impliquant d’autres organes (hépatite, pancréatite, néphrite, etc.) sont nettement plus exceptionnels. Leur survenue impose l’arrêt de la clozapine qui devient en théorie contre-indiquée (une réintroduction très prudente peut néanmoins être envisagée) [11].

Fièvre

La fièvre “bénigne” est l’événement immuno-allergique le plus fréquent, avec un syndrome pseudo-­grippal survenant dans les jours suivant l’introduction de la clozapine [11]. Elle peut s’associer à une augmentation discrète de la CRP. Si une myocardite ou une autre complication immuno-allergique sévère est éliminée, le traitement peut être poursuivi, à la condition de stopper la titration tant que les symptômes et/ou l’augmentation de la CRP persistent.

Des effets anticholinergiques à surveiller

Les effets anticholinergiques sont à l’origine des événements indésirables les plus sévères de la clozapine. Ces effets peuvent être particulièrement problématiques en gériatrie du fait de leurs conséquences potentiellement graves, et doivent donc être systématiquement dépistés.
• Les effets sur la motilité du tube digestif entraînent et/ou aggravent tout d’abord des troubles de la déglutition. Les usagers de clozapine sont de ce fait particulièrement exposés au risque de pneumopathie d’inhalation [10]. Ce risque est augmenté par l’hypersialorrhée, qui est aussi une conséquence paradoxale de l’effet anticholinergique : elle est essentiellement liée à un défaut de déglutition plus qu’à une hyperproduction de salive. Il faut donc éviter de la traiter par des anticholinergiques à action systémique qui aggravent la situation, et privilégier l’atropine par voie locale [17].
• Les effets anticholinergiques entraînent et/ou aggravent aussi des troubles du transit, avec une augmentation de l’incidence des occlusions fonctionnelles (syndrome d’Ogilvie) chez les usagers de clozapine, dont l’issue peut être létale.
• Ces effets anticholinergiques peuvent également induire ou aggraver des déficits cognitifs. Tous les autres effets indésirables des effets anticholinergiques (rétention urinaire, glaucome, etc.) justifient que tout doit être mis en œuvre pour réduire la charge anticholinergique. Cette question se pose surtout pour les personnes présentant des troubles psychiatriques sévères, dont les ordonnances cumulent encore trop souvent des psychotropes à haute charge anticholinergique. Il faut proscrire autant que possible chez les usagers de clozapine la prescription d’hydroxyzine, de cyamémazine, de lévomépromazine, d’alimémazine, d’antidépresseurs tricycliques, etc. [18].

Conclusion

Plus de 30 ans après sa réintroduction, l’accès à la clozapine reste entravé par de multiples barrières. La surveillance hématologique est un frein majeur à son usage, et les contraintes réglementaires actuelles ne sont plus adaptées à la réalité des risques. Les barrières liées aux représentations des prescripteurs ont aussi une incidence majeure. Même si la clozapine est un antipsychotique à index thérapeutique étroit, la quasi-totalité des risques liés à sa prescription est prédictible et peut être prévenue. L’identification et la gestion des effets indésirables sont indispensables pour que l’initiation et la poursuite du traitement se déroulent dans des conditions sécurisées, permettant ainsi aux usagers de bénéficier de cette molécule aux propriétés uniques.

 

Correspondance
Pr Hélène Verdoux, Université Bordeaux, UMR 1219, Case 36, 146 rue Léo Saignat, 33 076,
Bordeaux Cedex.
e-mail : helene.verdoux@u-bordeaux.fr

L’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêt.

Bibliographie

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2. Mukku SSR, Sivakumar PT, Varghese M. Clozapine use in geriatric patients- ­Challenges. Asian J Psychiatr 2018 ; 33 : 63-7.
3. Verdoux H, Quiles C, Bachmann CJ et al. Prescriber and institutional barriers and facilitators of clozapine use: A systematic review. Schizophr Res 2018 ; 201 : 10-9.
4. Bachmann CJ, Aagaard L, Bernardo M et al. International trends in clozapine use: a study in 17 countries. Acta Psychiatr Scand 2017 ; 136 : 37-51.
5. Verdoux H, Pambrun E, Cortaredona S et al. Geographical disparities in prescription practices of lithium and clozapine: a community-based study. Acta Psychiatr Scand 2016 ; 133 : 470-80.
6. Verdoux H, Pambrun E. Clozapine use pattern in persons with and without treatment for Parkinson’s disease in real-world conditions: a naturalistic study in a community-based sample. Acta Psychiatr Scand 2014 ; 130 : 487-97.
7. de Leon J, Schoretsanitis G, Smith RL et al. An International Adult Guideline for Making Clozapine Titration Safer by Using Six Ancestry-Based Personalized Dosing Titrations, CRP, and Clozapine Levels. Pharmacopsychiatry 2022 ; 55 : 73-86.
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9. Verdoux H, Quiles C, de Leon J. Optimizing antidepressant and clozapine co-prescription in clinical practice: A systematic review and expert recommendations. Schizophr Res 2024 ; 268 : 243-51.
10. Schoretsanitis G, Ruan CJ, Rohde C et al. An update on the complex relationship between clozapine and pneumonia. Expert Rev Clin Pharmacol 2021 ; 14 : 145-9.
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12. Northwood K, Myles N, Clark SR et al. Evaluating the epidemiology of clozapine-associated neutropenia among people on clozapine across Australia and Aotearoa New Zealand: a retrospective cohort study. Lancet Psychiatry 2024 ; 11 : 27-35.
13. Myles N, Myles H, Xia S et al. Meta-analysis examining the epidemiology of clozapine-associated neutropenia. Acta Psychiatr Scand 2018 ; 138 : 101-9.
14. Oloyede E, Blackman G, Whiskey E et al. Clozapine haematological monitoring for neutropenia: a global perspective. Epidemiol Psychiatr Sci 2022 ; 31 : e83.
15. Verdoux H, Quiles C, de Leon J. Risks and benefits of clozapine and lithium co-prescribing: A systematic review and expert recommendations. Schizophr Res 2024 ; 268 : 233-42.
16. Vickers M, Ramineni V, Malacova E et al. Risk factors for clozapine-induced myocarditis and cardiomyopathy: A systematic review and meta-analysis. Acta Psychiatrica Scandinavica 2022 ; 145 : 442-55.
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18. Verdoux H, Quiles C, Bon L et al. Impact of anticholinergic load on functioning and cognitive performances of persons with psychosis referred to psychosocial rehabilitation centers. Psychol Med 2021 ; 51 : 2789-97.