Interview du Pr Bertrand Fougère, professeur de gériatrie à la faculté de médecine de Tours et responsable du pôle vieillissement du CHRU de Tours
Rattachée aux ministères chargés de la Santé, de l’Action sociale et de la Sécurité sociale, la Délégation au numérique en santé (DNS) fait le lien entre le monde industriel, technologique et les acteurs de terrain. Elle co-construit, avec les acteurs de l’écosystème, la feuille de route du numérique en santé et veille à sa mise en œuvre. Le Pr Bertrand Fougère vient d’y être nommé.
Quelle est votre mission au sein de la DNS ?
J’ai commencé ma mission à la Délégation du numérique en santé le 1er octobre 2023, sur un temps partiel, en tant qu’expert pour co-piloter le « Grand Défi dispositif numérique pour bien vieillir » avec Line Farah, directrice des deux grands défis de la DNS [ndlr : le Grand Défi pour le Bien Vieillir, et le Grand Défi santé mentale].
L’objectif du « Grand Défi dispositif numérique pour Bien Vieillir », c’est de faire émerger et assurer un cadre propice à la mise sur le marché de technologies numériques innovantes pour permettre la prévention, le repérage et le maintien en autonomie des personnes âgées.
Pourquoi le numérique est-il aussi central dans le devenir de la santé ?
On le voit bien, le numérique est en train de transformer notre monde de la santé puisque l’on voit qu’il y a beaucoup de nouvelles technologies, dispositifs connectés, applications qui arrivent sur le marché, et les données de santé qui les accompagnent. Ces avancées vont devenir essentielles dans la santé puisqu’elles vont représenter des opportunités pour améliorer à la fois la qualité des soins, mais aussi réduire les coûts de santé, et permettre à chacun d’entre nous d’être beaucoup plus autonomes dans la gestion de notre propre santé.
Si la santé ne prend pas ce pas-là, et reste sur les systèmes qu’elle utilise aujourd’hui, voire ceux d’avant, cela va engendrer un décalage problématique. De toutes les manières, le numérique est déjà là, présent dans notre quotidien : podomètre, application pour le régime, électrocardiogramme… Il faut donc mettre un cadre de façon à ce que cela soit approprié et que l’évolution des technologies soit suivie d’une évolution juridique et éthique convenable.
Quels seraient pour vous les dangers du tout numérique ?
Alors le tout numérique n’arrivera pas et tant mieux. Il faut qu’on garde une place à la clinique, avec l’humain et le lien avec les patients. Mais maintenant il y a ces deux grands enjeux : la confidentialité et la sécurité des données.
Il peut aussi être rencontrée une certaine inégalité socio-économique dans l’accès aux technologies et là, un décalage pourrait se créer.
Et puis un autre point pour moi serait le surdiagnostic et l’anxiété que l’usage du numérique peut générer. Plus il est possible de chercher, plus vous allez chercher, et plus vous allez trouver des choses. Donc il faut aussi qu’on arrive à aborder ce surdiagnostic et cette anxiété qui va de toute façon arriver, avec certaines précautions, en expliquant et en accompagnant aussi ces technologies.
En fait, c’est un cadre éthique dont nous avons besoin, et il faut instaurer le bon usage des outils du numérique.
Est-ce la voie vers une autre profession de la santé ?
Je pense que cela va probablement créer des métiers des nouvelles technologies, autour d’elles avec des accompagnements pour leur utilisation, ou bien pour elles avec la recherche et développement.
Tout cela a le potentiel de transformer la façon dont on perçoit et dont on gère notre santé. Nous allons être beaucoup plus acteurs de notre santé grâce à ces dispositifs numériques.
Néanmoins, il faut garder en tête la notion essentielle de santé au sens large, holistique et multidimensionnelle, et ne pas rester seulement sur la partie technologique. Si on arrive à avoir cette approche équilibrée et réfléchie entre les différents acteurs, on pourra maximiser les avantages de la santé en minimisant les risques et les défis.
Que représente le numérique pour nos patients ?
On ne s’en rend pas compte, mais près de deux tiers des personnes de 65 ans et plus ont un smartphone et l’utilisent. Finalement, c’est une génération qui est connectée, mais dont il faudra surveiller les usages en s’assurant qu’elle continue à rester connectée.
L’important aujourd’hui est de faire en sorte que cette autonomie et cette technologie ne soient pas un fardeau, et que tout le monde puisse continuer à s’approprier les différents dispositifs, sans un trop plein d’informations. Que les technologies nouvelles s’adaptent à chaque population et usager.
Et puis il y a la question des déserts médicaux, les technologies permettent de disposer d’une médecine coordonnée et adaptative. On l’a bien vu, la téléconsultation, si elle est accompagnée correctement avec une éducation suffisante, peut venir soutenir l’offre de soins et la coordination du parcours de soin. Elle offre la possibilité de surveiller, alerter, suivre et réorganiser le temps. De toutes les manières, le rapport humain sera toujours là et restera primordial.