D’après les interventions de Pr Philippe Bertin1, Dr Alice Courties2, Pr Yves Henrotin3 à l’occasion du webinaire organisé pour le laboratoire Tilman (16 janvier 2024)
1. CHU Dupuytren, Limoges / 2. Hôpital Saint-Antoine, AP-HP, Paris / 3. CHU Sart-Tilman, Liège (Belgique)
Le point sur l’arthrose
L’arthrose est la maladie ostéoarticulaire la plus fréquente (10 % de la population, soit près 600 millions de personnes dans le monde) (1), avec une prévalence grandissante du fait notamment du vieillissement de la population et de l’augmentation de l’obésité. La forme symptomatique la plus fréquente est la gonarthrose (39 à 46 %), suivie de l’arthrose digitale (25 à 47 %), puis de la coxarthrose (18 à 28 %), les atteintes étant généralement multiples. La douleur et la gêne fonctionnelle sont les principaux symptômes, avec des conséquences importantes sur la qualité de vie. De plus, les patients arthrosiques présentent une surmortalité précoce (arthrose des membres inférieurs), notamment cardiovasculaire et plus de comorbidités que les non arthrosiques. La forte prévalence de patients polymorbides a des conséquences importantes sur la prise en charge en particulier médicamenteuse.
Comment évaluer les phénotypes des douleurs arthrosiques ?
La communication bidirectionnelle d’amplification de la douleur
En cas d’agression tissulaire aiguë, deux systèmes se mettent en route pour aboutir à la guérison :
• le système neurosensoriel, qui crée une douleur aiguë, afin d’éviter l’agent causal ;
• le système immunitaire, qui crée de l’inflammation, afin de recruter les cellules nécessaires à la réparation tissulaire.
Quand l’agression se répète, les deux systèmes communiquent de façon un peu pathologique entre eux, ce qui peut induire de multiples phénotypes de douleur. En bref, en cas d’inflammation qui perdure, il y a une sensibilisation des récepteurs périphériques et centraux. La personne va alors ressentir beaucoup plus de douleur qu’elle ne devrait. Dans l’autre sens, la douleur peut créer une inflammation neurogenèse (neuro-inflammation), qui participe à la chronicisation de la lésion tissulaire. Ainsi, on rentre dans un système de communication bidirectionnelle d’amplification qui peut conduire à des douleurs inappropriées.
Les différents types de douleur
On peut résumer les différents types de douleur de la manière suivante :
• les douleurs nociceptives (stimulation simple) : douleurs mécaniques ou inflammatoires ;
• les douleurs nociplastiques (dysfonctionnement intra-neuronal) ;
• les douleurs neuropathiques (présence d’une lésion nerveuse).
Les deux derniers types correspondant à un emballement du système douleur.
En présence d’une plainte de douleur, pour une prise en charge adaptée, il convient de réaliser une évaluation qualitative et quantitative ainsi qu’une approche multimodale avec lutte prioritaire contre l’inflammation. La source de la douleur doit être identifiée. En effet, toutes les douleurs ne sont pas liées simplement à la distension ou même au caractère inflammatoire d’un épanchement, mais peuvent par exemple venir des tendons ou être liées à une instabilité.
Comment distinguer les composantes de la douleur chez un patient ?
Le questionnaire OASIS (3) permet de déterminer rapidement le type de douleur que ressent le patient sur la base de neuf questions. Ce questionnaire est qualitatif et va aider le praticien à choisir les thérapeutiques dont le mécanisme d’action est orienté vers la ou les composantes de la douleur ressentie. Il est aussi quantitatif et est sensible au changement.
Quel arsenal thérapeutique en 2024 ? (Fig. 1)
Figure 1 – Prise en charge de la gonarthrose et de la coxarthrose (d’après les recommandations VIDAL, SFR 2020, OARSI 2019).
Le paracétamol, trop prescrit ?
Alors qu’il est très prescrit dans cette indication, son effet sur la douleur est très faible (perte de 4/100 points dans l’arthrose du genou par exemple) (4). De même, sa bonne tolérance est remise en question par plusieurs études, notamment dans un contexte de prescription quotidienne (plus de 20 jours par mois et à des doses élevées, c’est-à-dire 3-4 g/j) (5).
Le paracétamol n’est pas la pierre angulaire du traitement du patient arthrosique. Il peut être utilisé comme traitement d’appoint, mais pas comme traitement de fond de la douleur. Et cela doit être expliqué au patient afin qu’il puisse auto-gérer ses symptômes.
Quelle place pour les anti-inflammatoires ?
La plupart des recommandations placent les anti-inflammatoires, au sens large, en bonne position, notamment les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) locaux en première ligne, en même temps que les techniques non médicamenteuses indispensables (6, 7).
• Les AINS par voie générale sont placés après échec de la première ligne parce qu’ils ont des effets indésirables (digestifs, cardiovasculaires et rénaux). Ils doivent être prescrits en cures courtes, à la dose la plus faible possible, après avoir évalué le bénéfice/risque individuel ainsi que les comorbidités digestives et cardiovasculaires. La seconde ligne par voie orale devrait être réservée aux patients qui ont une douleur inflammatoire et pour traiter leur poussée congestive (sur maximum 7 jours). Il faut bien expliquer qu’il ne s’agit pas d’un traitement de fond et que la prise doit être arrêtée une fois la poussée terminée.
• Les AINS locaux sont intéressants, car dosables dans le liquide synovial quand ils sont appliqués correctement localement (et 3 à 4 fois par jour). Il faut simplement faire comprendre au patient qu’il faut l’appliquer régulièrement dans de bonnes conditions et qu’il ne s’agit pas d’un placebo. Attention cependant au kétoprofène qui est photo-allergisant avec des rémanences possibles.
En cas de risques cardiovasculaire et digestif : un inhibiteur sélectif de COX-2 peut être proposé à un patient qui n’est pas à risque cardiovasculaire, mais à risque digestif. L’anti-inflammatoire le plus neutre sur le plan cardiovasculaire est le naproxène. Le diclofénac, en particulier la forme LP, a démontré un risque cardiovasculaire.
Et le Curcuma longa ?
D’autres options anti-inflammatoires sont largement utilisées en Belgique et de plus en plus en France. En 2009, il a été montré sur des cultures de chondrocytes que la curcumine (polyphénol, molécule active contenue dans le Curcuma longa) avait des actions anti-inflammatoires importantes et anti-cataboliques. Une formulation active, obtenue après une série d’innovations, a démontré dans un essai clinique de type II une efficacité sur la douleur, une diminution de la consommation des AINS par voie orale, de l’activité globale de la maladie évaluée par le patient, un effet chondroprotecteur évalué par une diminution significative du biomarqueur COLL2-1, ainsi qu’une très bonne tolérance (8). Cette étude a permis de déterminer la dose optimale (deux capsules matin et soir). Le produit est commercialisé depuis une dizaine d’années en Belgique, sans problème de pharmacovigilance.
Qu’en est-il des corticoïdes intra-articulaires ?
Il s’agit d’un sujet qui a déjà été largement débattu. Les dernières recommandations de la Société française de rhumatologie (6) énoncent clairement que ces injections doivent être réservées aux poussées congestives, en particulier dans le genou. Les recommandations sont moins claires pour les autres articulations. Il faut alors faire appel au pragmatisme médical, en fonction du patient.
Ces injections ne sont pas délétères au long cours, à la condition d’une utilisation raisonnée (pas plus de deux ou trois fois). En l’absence d’efficacité, il faut passer à autre chose.
Quid de la viscosupplémentation : enfin un consensus ?
La viscosupplémentation peut être utilisée, à condition que les indications soient bien posées (9). Elle peut être prescrite dans un objectif symptomatique au long terme, mais il ne faut pas espérer un effet chondroprotecteur. Et surtout, il faut essayer d’identifier les facteurs de risque d’échec, en tout cas de diminution de son efficacité (douleurs extra-articulaires, instabilité et déviation axiale majeures, mauvais diagnostic, obésité, arthrose FT sévère (KL IV), arthrose PF sévère ou isolée, injection extra-articulaire).
EuroVisco recommande des acides hyaluroniques réticulés en mono-injection. Un retraitement éventuel ne se fera qu’après évaluation (tous les 6 mois), selon la réponse du patient. Elle ne doit pas être pratiquée de façon isolée, mais faire partie du parcours de soins. Dans tous les cas, il convient d’identifier le patient idéal pour ce traitement ainsi que le bon moment dans l’algorithme thérapeutique.
Et les PRP ?
La science est encore dans la période de la controverse. Il y a des études et des méta-analyses positives et d’autres moins… ainsi qu’une grande hétérogénéité dans les résultats. Et, pour le moment, nous n’avons pas de protocole unique (origine et composition des plaquettes, statut de santé du patient…). Le recul clinique laisse penser que les PRP ont une place dans le parcours de soins, notamment en cas d’échec des autres traitements infiltratifs.
Une étude française va débuter, avec l’hôpital Mondor comme investigateur principal. Cela devrait nous permettre d’avancer sur les protocoles.
Les autres options thérapeutiques
Certains traitements (chondroïtine sulfate, extraits de soja, etc.) ont montré une efficacité symptomatique supérieure au placebo, mais avec un effet parfois assez faible. Ils peuvent éventuellement être essayés, 3 mois et, s’ils n’engendrent pas d’effets secondaires, et qu’il y a une amélioration, ils peuvent être poursuivis. Ils pourraient être utiles, à visée antalgique, en cas de fond douloureux chronique (par pour les poussées).
Si l’on s’oriente vers d’autres options thérapeutiques, il convient de vérifier innocuité, qualité de production, mécanisme d’action, preuves scientifiques, pharmaco-cinétique, posologie, d’éviter la substitution, d’évaluer le rapport bénéfice/risque, d’informer le patient, d’utiliser l’effet placebo et, comme toujours, d’évaluer les effets.
Dans tous les cas, il faut impérativement éviter que les traitements pharmacologiques se substituent à une prise en charge non pharmacologique.
Quelle prise en charge globale ?
La figure 2 montre, dans la partie de gauche, le traitement de base qui doit être appliqué à tous les patients, quels que soient l’âge, la sévérité de la pathologie, l’état de santé. Cela commence par une évaluation (symptomatologie, statut clinique, radiographique, comorbidités, mais aussi environnement du patient et statut émotionnel).
Dans la partie de droite est représentée la prise en charge centrée sur le patient. Celle-ci ne suffit pas, il est indispensable d’y associer une prise en charge non pharmacologique. Ce qui augmente l’efficacité des traitements pharmacologiques, qui doivent être utilisés pour permettre la rééducation et faciliter le retour à l’activité physique, et pas seulement pour soulager la douleur. Les recommandations laissent une porte ouverte pour d’autres molécules, en fonction du pragmatisme médical, de la discussion avec le patient et de son parcours de soins.
Le traitement de base
• Éducation thérapeutique ciblée sur le patient : pour changer ses croyances, pour augmenter l’adhésion au traitement non pharmacologique.
• Exercices : en fonction du bilan fonctionnel du patient, renforcement et/ou aérobie cardio et/ou contrôle moteur, avec une place très importante du kinésithérapeute + travail sur l’extensibilité musculaire. L’apprentissage de l’auto-rééducation (étirements, renforcement musculaire isométrique) peut être indiqué également sur l’ordonnance de kinésithérapie.
• Gestion du poids : perdre du poids induit des effets supérieurs aux traitements sur les symptômes, sur la douleur (ex. 10 % de poids en moins = 50 % de douleurs en moins dans l’arthrose du genou).
• Poursuite d’une rééducation (bien conduite) pendant au moins 3 à 6 mois avant d’envisager la pose d’une prothèse.
• Évaluation de l’efficacité du traitement de base.
Focus sur l’étude FlexoPam dans l’arthrose digitale
Cette étude observationnelle (10), réalisée en collaboration avec des médecins généralistes, a testé, sur plus de 300 patients, l’efficacité d’un produit à base d’extraits de Curcuma longa et de Boswellia serrata pendant 3 mois. Il a été observé une diminution de la douleur, avec une taille de l’effet intra-groupe largement supérieure au placebo dans des essais cliniques randomisés. Les patients les plus répondeurs étaient ceux qui avaient la douleur la plus importante initialement, mais aussi ceux qui avaient le plus d’articulations atteintes. De plus, il a été montré une diminution de la consommation des AINS par voie orale, exposant ainsi moins à leurs effets secondaires.
Bibliographie
1. GBD 2021 Low Back Pain Collaborators. Global, regional, and national burden of low back pain, 1990-2020, its attributable risk factors, and projections to 2050: a systematic analysis of the Global Burden of Disease Study 2021. Lancet Rheumatol 2023 ; 5 : e316-29.
2. Swain S, Sarmanova A, Coupland C et al. Comorbidities in osteoarthritis: a systematic review and meta-analysis of observational studies. Arthritis Care Res (Hoboken) 2020 ; 72 : 991-1000.
3. Perrot S, Trouvin AP, H_Bouhassira D. Three dimensions of pain in osteoarthritis: development and validation of the Osteoarthritis Symptom Inventory Scale. Pain 2023 ; 164 : 1566-77.
4. Towheed TE, Maxwell L, Judd MG et al. Acetaminophen for osteoarthritis. Cochrane Database Syst Rev 2006 ; 2006 : CD004257.
5. Roberts E, Delgado Nunes V, Buckner S et al. Paracetamol: not as safe as we thought? A systematic literature review of observational studies. Ann Rheum Dis 2016 ; 75 : 552-9.
6. Sellam J, Courties A, Eymard F et al. French Society of Rheumatology. Recommendations of the French Society of Rheumatology on pharmacological treatment of knee osteoarthritis. Joint Bone Spine 2020 ; 87 : 548-55.
7. Bannuru RR, Osani MC, Vaysbrot EE et al. OARSI guidelines for the non-surgical management of knee, hip, and polyarticular osteoarthritis. Osteoarthritis Cartilage 2019 ; 27 : 1578-89.
8. Henrotin Y, Malaise M, Wittoek R et al. Bio-optimized Curcuma longa extract is efficient on knee osteoarthritis pain: a double-blind multicenter randomized placebo controlled three-arm study. Arthritis Tes Ther 2019 ; 21 : 179.
9. Conrozier T, Raman R, Chevalier X et al. Viscosupplementation for the treatment of osteoarthritis. The contribution of EUROVISCO group. Ther Adv Musculoskelet Dis 2021 ; 13 : 1759720X211018605.
10. Henrotin Y, Dierckxsens Y, Delisse G et al. Curcuma longa et Boswellia serrata extract combination for hand osteoarthritis: an open-label pre-post trial. Pharm Biol 2022 ; 60 : 2295-99.