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Les troubles olfacto-gustatifs chez la personne âgée : l’état post-Covid-19 a-t-il amélioré la connaissance et la prise en charge de ces troubles chez le sujet âgé ?

Un peu d’Histoire…

Pendant longtemps, l’odorat fut considéré comme un sens mineur. Aristote établissait que nous disposions d’un odorat nettement inférieur aux autres sens. Kant et Freud opposaient quant à eux l’odorat à la civilisation. Broca écrivait « L’homme trouve dans ses autres sens et dans son intelligence des ressources qui diminuent notablement l’utilité de l’odorat », classant l’Homme dans la famille des animaux anosmatiques [1].
Mais dans le domaine de la santé, on repère des tentatives et des avancées particulièrement significatives dès l’Antiquité. En effet, contrairement aux philosophes, les médecins ont accordé une grande importance à l’odorat. Selon Hippocrate, le médecin devait être « l’homme aux narines bien mouchées », car ce sens servait aux médecins pour diagnostiquer les maladies, et les osphrésiologues au XVIIIe siècle avaient même classé les maladies selon les odeurs qu’elles dégageaient [2]. Ainsi, jusqu’au XIXe siècle, les mauvaises odeurs étaient accusées de propager maladies et épidémies, et les parfums dont on se servait pour les combattre ont été pendant des siècles les principaux médicaments.
Il faut toutefois attendre bien longtemps (2001) pour voir émerger les premiers ateliers olfactifs créés en collaboration avec le monde médical par Marie-France Archambault, psychomotricienne de formation, et repris par Patty Canac, olfactothérapeute, et Christiane Samuel, orthophoniste [3].

En pratique

À l’hôpital Raymond-Poincaré de Garches, on se sert depuis plusieurs années des odeurs pour aider les patients qui ont été dans le coma à retrouver la mémoire [3].
Les odeurs sont aussi utilisées dans les prisons. Les odeurs de la nature et de la ville ne pénètrent pas dans ces lieux confinés, vécus comme particulièrement anxiogènes. À la prison de Fresnes, une psychologue s’est servi des odeurs pour aider les détenus afin de soulager l’angoisse engendrée par l’univers carcéral, en leur ouvrant sur l’extérieur des fenêtres olfactives.

En génétique

Mais c’est l’attribution du prix Nobel de physiologie et de médecine à Linda Buck et Richard Axel en 2004 qui constitue une avancée majeure dans notre connaissance du système olfacto-gustatif.
Axel et Buck identifient une nouvelle famille de gènes correspondant aux récepteurs olfactifs. Cette famille nouvellement découverte compte près de deux cents membres ! Et les deux scientifiques ne seront pas surpris d’apprendre par la suite que leur découverte n’est que le sommet de l’iceberg : chez certains mammifères, comme le rat, le nombre de gènes codant pour des récepteurs olfactifs peut atteindre le millier !
Ainsi, près de 1 % de notre génome serait consacré à l’information génétique pour les récepteurs olfactifs, ce qui en ferait la plus grande famille de protéines connue à ce jour chez l’être humain…

Nez artificiels

Le prix Descartes-Huygens 2020 décerné à Halima Mouhib, maître de conférences à l’Université Gustave Eiffel, est dans la continuité de l’intérêt suscité par les travaux sur l’odorat. En effet, elle s’est vue récompenser pour ses travaux sur les odeurs et les mécanismes qui sous-tendent l’odorat humain et sa contribution à la collaboration franco-néerlandaise en matière de recherche sur les nez artificiels.

Dans la maladie d’Alzheimer

Deux chercheuses de l’Inra à Dijon ont été à l’origine d’une étude unique en France : l’exposition de patients atteints de maladie d’Alzheimer à une odeur de sauté de bœuf 15 minutes avant le repas afin de stimuler leur appétit. Elles ont mis en évidence pour cette population gériatrique la réaction de Maillard qui fait que la cuisson déploie les arômes d’un aliment. Cette expérience a démontré une augmentation de 25 % de consommation de viande et de légumes, ce qui est non négligeable dans une population souffrant de troubles de la dénutrition [4].

Et pourtant, c’est réellement avec l’anosmie du Covid-19 que la médecine et la science vont s’intéresser de plus près au système olfacto-gustatif.

Une pandémie qui améliore notre connaissance du système olfacto-gustatif, mais une connaissance toute relative

Habituellement, un rhume sur 400 provoque une anosmie, mais le 19 mars 2020, l’Hôtel-Dieu reçoit en une seule journée plus de 70 appels pour anosmie lançant dès le lendemain via la SFORL (Société française des ORL) une alerte anosmie Covid-19 devant des anosmies brutales et souvent isolées [5]. À partir de là, la communauté scientifique et médicale va s’intéresser à l’anosmie et au système olfactif en termes d’évaluation et de prise en soins, ce qui n’avait jamais été réalisé auparavant.
La perception d’une odeur commence dans les fosses nasales où plusieurs molécules odorantes se lient à des récepteurs spécifiques. Chacun de ces récepteurs va par la suite servir de relais et transmettre le message « odorant ». Il s’agit d’un influx chimique qui peut être contrarié par une obstruction (œdème, polype par exemple), mais l’olfaction va au-delà de l’odorat, car cet influx chimique se transforme en influx nerveux transmis par le nerf olfactif au bulbe olfactif, puis vers l’amygdale, centre de nos émotions et l’hippocampe, centre de notre mémoire. C’est pour cela que l’on a l’habitude de dire que l’olfaction se trouve au carrefour de nos émotions et de notre mémoire.
Toute perception d’odeur se fait donc en deux temps. Notre nez se charge de transcrire le message olfactif apporté par l’odeur. Puis notre cerveau le décrypte et permet son identification en intégrant son lot d’émotions et de souvenirs associés. Mais le signal olfactif fait exception par rapport aux autres signaux sensoriels, car il ne fait pas de relais au niveau du thalamus avant d’aller vers les centres d’interprétation. Ce n’est qu’ensuite que le signal en provenance du bulbe va cheminer vers le thalamus, l’hypothalamus, l’hippocampe et des centres particuliers du cortex. Cela suggère que l’olfaction possède un accès privilégié au cerveau. Notre système olfactif est d’ailleurs d’une grande réactivité, la voie empruntée par le signal olfactif jusqu’au cerveau est plus courte que celle des autres perceptions sensorielles (ouïe, vue, goût) et il faut moins d’une demi-seconde pour que le message olfactif arrive jusqu’au cortex orbito-frontal.
Malgré le travail acharné de nombreuses équipes, le mécanisme précis de l’olfaction reste un mystère sans parler des odeurs inodores (­phéromones) !

Et le goût dans tout ça, est-ce vraiment de l’odorat ?

La perception du goût est possible grâce aux cellules gustatives regroupées en « bourgeons » (un bourgeon c’est cinquante à cent cellules gustatives) qui sont répartis au sein des papilles gustatives, mais aussi sur le voile du palais, l’intérieur des joues et le pharynx.
L’intensité du goût dépend de la concentration en messages chimiques de l’aliment, de son odeur, de sa texture et de sa température. Mais pas seulement, car nous ne sommes pas égaux face aux odeurs. Cela dépend du patrimoine génétique de nos parents, de la variété et de la qualité des récepteurs qu’ils nous ont transmis. Par exemple, si vous ne possédez pas celui de la noisette, comme c’est le cas pour 30 % de la population, vous ne sentirez pas la noisette. Toutefois, on sait que certains récepteurs sont en veille et ne s’activent qu’au terme de plusieurs expositions. Vous pouvez très bien ne pas sentir telle odeur, la première fois, puis finalement la percevoir, après trois expositions. L’odorat s’exerce, se cultive, il faut faire marcher son nez en toute occasion, comme un mélomane le fait pour l’ouïe, car, comme nous le rappelle André Holley, « La valeur hédonique d’un arôme ou d’une saveur fluctue selon l’état interne d’un individu et dépend des apprentissages » [6]. Par ailleurs, « L’acceptation ou au contraire le rejet de l’aliment dépend étroitement d’une mémoire puissante qui garde la trace des expériences alimentaires antérieures. Cette mémoire est activée automatiquement et l’accès à la pleine conscience se produit quand surviennent des incidents sensoriels comme un arôme suspect (…) Le cerveau conserve la mémoire des signaux sensoriels perçus au cours du repas et à l’issue de la digestion. L’association qui en résulte peut provoquer une aversion, un dégoût ce qui n’est pas le cas des stimuli tactiles et thermiques » [6].

Le mythe de l’umami : une légende urbaine ? Un rappel historique nécessaire…

• 1742 : Vincent La Chapelle (chef cuisinier) fait mention d’un bouillon infusé sans viande au goût de viande (pour les pauvres) dans son ouvrage Le cuisinier moderne.
• 1826 : Brillat-Savarin (gastronome français) publie Physiologie du goût : c’est l’umami avant l’umami.
• 1864 : Adolph Fick (physiologiste allemand) identifie les quatre saveurs primaires.
• 1908 : Ikeda (chimiste japonais) identifie la présence de glutamates dans certains aliments : l’umami est né (E621 dans l’industrie agro-alimentaire).
• 1913 : Komada isole l’inosate disodique (E631).
• 1957 : Kuninaka révèle le guanylate disodique (E627).
Ces trois acides aminés sont à la base de la saveur umami.

Le goût d’un aliment n’est en fait que l’image créée par le cerveau à la suite de stimuli chimiques et physiques reçus depuis la bouche par le nez. La mémoire joue un rôle primordial dans la définition du goût. Chaque individu va au cours de sa vie se construire un répertoire de goûts. Le goût est donc culturel et subjectif.
Il y a une différence entre l’existence d’une saveur, sa définition puis sa reconnaissance. L’umami présent depuis toujours n’a été défini qu’en 1908 et reconnu en 1985 (au symposium international de Hawaï) comme le goût des glutamates.
En 1988, une neurobiologiste française, Annick Faurion, synthétise le concept. Elle montre que les saveurs sont codées différemment, le codage dépendant d’un individu à l’autre.
« Il n’y a donc pas quatre, ni cinq, ni six saveurs fondamentales, mais une réponse individuelle à des saveurs, des arômes et des sensations somesthésiques comme la chaleur, la pression… »
Nous sommes bien loin de la cinquième saveur et très loin de maîtriser le système gustatif qui, contrairement à ce que l’on a toujours pensé, n’est pas de l’odorat. En effet, odorat et goût ont des circuits anatomiques distincts et les deux premiers neurones gustatifs sont complètement séparés du système olfactif. C’est pourquoi les troubles de l’odorat et du goût peuvent être dissociés cliniquement [7].

Système olfacto-gustatif et sénescence

Le volume des bulbes olfactifs humains diminue avec l’âge et le traitement de l’information olfactive par le cerveau en est affecté : le temps de réponse aux odeurs s’allonge (examen par électroencéphalogramme). Par ailleurs, en vieillissant nos papilles gustatives avec lesquelles nous sommes nés commencent à diminuer et celles qui restent subissent également une diminution de taille et de sensibilité, ce qui rend plus difficile la perception du goût.
En premier lieu, la dysgueusie iatrogène (altération du goût due à la prise de certains médicaments et à la prise de tous les médicaments quels qu’ils soient lorsqu’ils sont écrasés) a une répercussion directe sur les troubles de la déglutition, l’alimentation et la nutrition de nos patients.

La dysgueusie peut entraîner une perte de poids, une carence nutritionnelle, un trouble du comportement alimentaire, un trouble de l’oralité et un syndrome de glissement touchant également le statut cognitif.
La dysgueusie iatrogène est sensible à l’amer dont le seuil de détection est abaissé chez l’humain.
Une torquegueusie (goût métallique) est le signe fréquent d’une altération gustative post-radique.
En revanche, la saveur sucrée est la dernière touchée par la dysgueusie chez le sujet âgé puisque de nombreuses papilles linguales participent à sa détection. Une dysgueusie sur le sucré sera donc le signe d’un trouble sévère.
La salive permet un contact optimal entre saveurs et papilles gustatives. La xérostomie (de son étymologie grecque « bouche sèche ») s’accompagne donc d’une dysgueusie ou d’une agueusie (perte du goût) et de difficultés masticatoires (insalivation du bolus difficile).
Or, un bolus mal préparé sera mal propulsé, augmentant ainsi le risque de fausses routes per prandiales.
Isabelle Prêcheur, professeure en odontologie à Nice et chirurgien-dentiste, abordait le sujet en avril 2019 lors d’un webinaire Nutrisens consacré au goût chez les personnes âgées [8]. Elle sensibilisait les professionnels de santé sur deux points précis :
- la destruction du biofilm oral protecteur liée à l’ingestion de médicaments écrasés, favorisant la prolifération des bactéries et des mycoses linguales pharmacorésistantes ;
- l’effet du goût piégé des médicaments écrasés dans le biofilm oral lingual entraînant la fixation du goût de ces médicaments, pervertissant ainsi le goût de tous les aliments.
Si la dysgueusie peut être la conséquence possible d’une xérostomie iatrogène, certaines classes pharmacologiques provoquent directement une altération des perceptions gustatives (Tab. 1).

Système ­olfacto-gustatif et pathologies neurodégénératives

La recherche la plus avancée concerne les deux grandes pathologies neurodégénératives les plus courantes : la maladie d’Alzheimer (MA) et la maladie de Parkinson.
L’atteinte olfactive au cours de la MA représente un marqueur précoce de cette maladie neurodégénérative dans la mesure où des déficits sont observés dès les premiers stades de la maladie, et ce, avant l’apparition des autres symptômes cognitifs et comportementaux [9].
Dans la maladie de Parkinson et comme pour la MA, l’intérêt d’un dépistage est lié à la forte occurrence d’une déficience olfactive avec la pathologie. L’atteinte olfactive est en effet présente dès les premiers stades de la maladie. L’hyposmie peut précéder de plusieurs années (une dizaine d’années) les troubles moteurs, ce qui est en corrélation avec la diffusion du processus dégénératif. Les troubles se manifestent par une diminution du seuil de détection et une difficulté d’identification sans nécessairement atteindre un degré de totale anosmie.
Les recherches du Dr Frasnelli soupçonnent une préservation du système trigéminal des patients parkinsoniens, offrant ainsi un bon marqueur de diagnostic différentiel [10].

Quelles solutions ? Comment lutter contre la détérioration du système olfacto-gustatif en gériatrie ?

Quelques pistes sont données par Claire Sulmont-Rossé [11].
On peut retenir pour l’odorat l’automatisation du nomadisme olfactif, la participation à des ateliers olfactifs et l’écriture olfactive en collaboration avec l’orthophoniste qui proposera des exercices variés avec et sans odeurs afin de faire émerger l’imagerie mentale (Fig. 1). Pour le goût, veiller à l’état bucco-dentaire, à ne pas écraser les médicaments et à leurrer le cerveau afin de prévenir toute altération gustative et préserver une alimentation normale le plus longtemps possible.
La neutralisation de la dysgueusie fait partie de la prise en soins orthophonique.

Figure 1 – Exercice olfactif avec un patient atteint de la maladie de Parkinson au sein d’une prise en soins orthophonique.

En conclusion, l’oralité découle du bon fonctionnement des structures sensorielles et au centre de l’oralité se trouve la bouche rassemblant odorat, goût et toucher et formant le lieu de sélection de l’alimentation. Beaucoup de patients âgés présentent un trouble de l’oralité souvent d’étiologie iatrogène. La nomenclature de l’orthophoniste lui permet d’effectuer un bilan et une prise en soins des troubles de l’oralité.
Par ailleurs, l’olfaction est le traitement neurologique d’une information sensorielle, tout trouble olfactif peut donc donner lieu à une surcharge cognitive et à une désorientation sur le plan émotionnel et mnésique. C’est pourquoi l’hyposmie de sénescence s’accompagne d’un repli et de troubles cognitifs. Diagnostiquer les troubles olfactifs, c’est prévenir le syndrome de glissement social, psychologique et cognitif. Le bilan et la prise en soins orthophoniques des troubles d’origine neurologique s’inscrivent dans le parcours du diagnostic différentiel. Ils restent soumis à une prescription médicale hors accès direct dans des conditions précises d’exercice coordonné.n

L’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêt.

Bibliographie

1. LCP Assemblée nationale. État de santé, perte de l’odorat un trouble sous-estimé (à 12’30). lcp.fr/programmes/etat-de-sante/perte-de-l-odorat-un-trouble-sous-estime-84635.
2. Cloquet H. Osphrésiologie, ou, traité des odeurs, du sens et des organes de l’olfaction. Avec l’histoire détaillée des maladies du nez et des fosses nasales et des opérations qui leur conviennent. Méquignon- Marvis 1821.
3. Canac P, Samuel C, Socquet S. Le guide de l’odorat. Ambre éditions 2015.
4. Chambaron S, Sulmont-Rosse C. Des odeurs pour redonner de l’appétit aux patients atteints par la maladie d’Alzheimer. INRA. hal.inrae.fr/hal-02790444/document
5. https://www.sforl.org/wp-content/uploads/2020/03/Alerte-anosmie-COVID-19.pdf
6. Holley A. Éloge de l’odorat. Éditions Odile Jacob 1999.
7. Benatru I. Troubles du goût et de l’odorat dans la maladie de Parkinson. La lettre du neurologue 2009 ; 3 : 84.
8. Prêcheur I. Comment améliorer la perception du goût chez les personnes âgées ? Webinaire Nutrisens du 04 avril 2019.
9. La perte de l’odorat pourrait annoncer la maladie d’Alzheimer. Radio-Canada, 4 mars 2021. www.medisite.fr/alzheimer-alzheimer-la-perte-de-lodorat-un-signe-annonciateur-de-la-maladie.5607795.43.html
10. Frasnelli J. Flairer la maladie de Parkinson. Parkinson Canada. www.parkinson.ca/fr/profile/flairer-la-maladie-de-parkinson/
11. Sulmont-Rossé C. Comment lutter contre la perte de goût en gériatrie ? Elsevier Éditions.
12. Martel J, Gagnon J. Altération du goût d’origine médicamenteuse. Pharmactuel 2002 ; 35 : 122-7.