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Projet HADENFER : optimiser la prise en charge de la carence martiale chez les patients insuffisants cardiaques grâce au fer injectable en HAD

Introduction

L’insuffisance cardiaque, pathologie méconnue du grand public, représente un enjeu majeur de santé publique, touchant environ 2,3 % de la population française [1]. Au sein de ce tableau clinique polymorphe, la carence martiale, souvent sous-diagnostiquée, constitue une comorbidité fréquente et insidieuse. Sa prévalence peut atteindre 50 % chez les patients insuffisants cardiaques, indépendamment de la présence d’une anémie [2]. Cette prévalence élevée souligne l’importance d’intégrer la détection et le traitement de la carence martiale dans la prise en charge globale des patients insuffisants cardiaques.
Le retentissement de la carence martiale, même en l’absence d’anémie, est loin d’être négligeable. Elle contribue à l’aggravation des symptômes, à la diminution de la qualité de vie et à l’augmentation du risque de complications, affectant négativement le pronostic des patients [3]. Face à ce constat, le fer oral, souvent mal toléré et peu efficace dans ce contexte, ne constitue pas une solution optimale. En revanche, le fer injectable s’impose comme le traitement de choix, permettant une correction rapide et efficace de la carence, améliorant la tolérance et favorisant l’observance du traitement [4].
L’hospitalisation à domicile (HAD), modalité d’hospitalisation à part entière, offre une alternative pertinente pour l’administration du fer injectable, car elle permet une prise en charge sécurisée et confortable au domicile du patient, tout en optimisant les ressources du système de santé. Le projet HADENFER, développé par le CHU de Poitiers, témoigne de l’intérêt et de la faisabilité de cette approche innovante.

Physiopathologie de la carence martiale dans l’insuffisance cardiaque

Mécanismes physiopathologiques

Pour une prise en charge optimale, il est crucial de comprendre les mécanismes physiopathologiques qui sous-tendent la forte prévalence de la carence martiale chez les patients avec une insuffisance cardiaque. Cette dernière perturbe de multiples fonctions physiologiques, créant un terrain propice à l’émergence de cette carence. L’inflammation systémique chronique, caractéristique de l’insuffisance cardiaque, induit une production accrue de cytokines pro-inflammatoires, telles que l’interleukine 6 (IL-6) et le facteur de nécrose tumorale alpha (TNF-α) [5]. Ces cytokines stimulent la production hépatique d’hepcidine, un régulateur clé de l’homéostasie du fer, qui inhibe l’absorption intestinale du fer et son relargage par les macrophages. Ce processus conduit à une séquestration du fer dans les tissus de stockage, le rendant inaccessible pour l’érythropoïèse et la production d’hémoglobine. De plus, la dysfonction cardiaque, en modifiant le débit cardiaque et la pression veineuse, peut provoquer une congestion des veines au niveau du tube digestif, ce qui altère la fonction de la muqueuse intestinale et réduit l’absorption du fer alimentaire. Enfin, les patients insuffisants cardiaques, souvent traités par des anticoagulants pour prévenir les complications thrombo­emboliques, présentent un risque accru de microsaignements gastro-intestinaux. Ces saignements peuvent entraîner une perte chronique de fer, contribuant à l’épuisement des réserves en fer de l’organisme.

Conséquences de la carence martiale sur le patient insuffisant cardiaque

La carence martiale, même en l’absence d’anémie franche, a une incidence significativement délétère et morbide chez les patients insuffisants cardiaques. Elle contribue à l’aggravation des symptômes, diminue la qualité de vie et augmente le risque de complications, avec un effet négatif sur le pronostic.
Le fer, constituant essentiel de l’hémoglobine, est indispensable au transport de l’oxygène dans le sang. La carence martiale limite la synthèse d’hémoglobine, entraînant une diminution de l’apport en oxygène aux tissus et aggravant la dyspnée et la fatigue, deux symptômes cardinaux de l’insuffisance cardiaque [6]. Les patients se plaignent d’un essoufflement accru à l’effort, d’une fatigue intense et persistante, limitant leurs activités quotidiennes et altérant leur qualité de vie.
Le fer joue également un rôle crucial dans la production d’énergie au niveau cellulaire, notamment dans la chaîne respiratoire mitochondriale. Une carence martiale perturbe le fonctionnement de cette chaîne, entraînant une diminution de la production d’ATP, la principale source d’énergie cellulaire. Cette altération énergétique se traduit par une diminution de la capacité d’effort, une intolérance à l’exercice physique et une asthénie profonde, contribuant à un cercle vicieux de déconditionnement physique et de limitations fonctionnelles. Des études cliniques ont montré une association entre la carence martiale et une augmentation du risque d’hospitalisation, pour décompensation cardiaque et troubles du rythme cardiaque tels que la fibrillation auriculaire, ainsi qu’une augmentation de la mortalité [3].

Diagnostic et traitement de la carence martiale dans l’insuffisance cardiaque

Diagnostic biologique

La suspicion clinique de carence martiale chez un patient insuffisant cardiaque doit être confirmée par un bilan biologique spécifique, permettant d’évaluer l’état des réserves en fer de l’organisme. La ferritine sérique est le reflet des réserves en fer stockées dans l’organisme. Un taux de ferritine sérique inférieur à 100 µg/l témoigne d’une carence martiale absolue. Le CST représente le pourcentage de transferrine, la principale protéine de transport du fer dans le sang, qui est saturée en fer. Un CST inférieur à 20 %, associé à un taux de ferritine entre 100 et 299 µg/l, est le signe d’une carence martiale fonctionnelle. Le dosage de l’hémoglobine est indispensable pour dépister une anémie, qui peut accompagner la carence martiale, mais il est important de noter qu’une carence martiale peut exister en l’absence d’anémie.
Compte tenu de la prévalence élevée et du retentissement clinique de la carence martiale, l’European society of cardiology (ESC) recommande un dépistage systématique de cette carence, réalisé par le biais d’un dosage de la ferritine et du CST, au moins une ou deux fois par an chez tous les patients insuffisants cardiaques.

Traitement : fer oral versus fer injectable

Le choix du traitement de la carence martiale chez les patients insuffisants cardiaques repose sur la balance bénéfice/risque, en tenant compte de l’efficacité, de la tolérance et de l’observance du traitement. Le fer oral, bien qu’il soit une option simple et peu coûteuse, présente des limites importantes chez les patients insuffisants cardiaques. L’absorption du fer oral est significativement diminuée en présence d’inflammation chronique et de congestion veineuse, deux caractéristiques fréquentes de l’insuffisance cardiaque. De plus, le fer oral est souvent associé à des effets indésirables gastro-­intestinaux, limitant l’observance et l’efficacité du traitement.
Le fer injectable, administré par voie intraveineuse, permet de contourner les problèmes d’absorption du fer oral et de corriger la carence martiale de manière plus rapide et efficace [7]. Le fer injectable est mieux toléré que le fer oral, avec une incidence d’effets indésirables significativement plus faible. Les réactions allergiques, bien que rares, constituent la principale complication du fer injectable. Le fer injectable est donc le traitement de choix pour corriger la carence martiale chez les patients insuffisants cardiaques, notamment en cas de carence sévère, de malabsorption intestinale, d’intolérance au fer oral ou de mauvaise observance du traitement oral. Seul le carboxymaltose ferrique (Ferinject®) a une autorisation de mise sur le marché dans l’insuffisance cardiaque et la correction martiale n’est indiquée que pour les patients porteurs d’une insuffisance cardiaque à fraction d’éjection ventriculaire gauche (FEVG) altérée (< 50 %) faute d’études dans la FEVG préservée (≥ 50 %).

HADENFER : le fer injectable en HAD, une solution au service du patient et du système de santé

Le projet HADENFER, initié par le CHU de Poitiers, est une initiative innovante qui vise à optimiser la prise en charge de la carence martiale chez les patients insuffisants cardiaques. Ce projet s’appuie sur l’administration du fer injectable en HAD, permettant une prise en charge sécurisée, confortable et efficiente.

Parcours du patient simplifié et acteurs impliqués

HADENFER s’articule autour d’un parcours de soins simplifié et coordonné, impliquant différents acteurs de santé. Le dépistage de la carence martiale est réalisé de façon systématique chez tous les patients insuffisants cardiaques. La première injection de fer est réalisée en hôpital de jour (HDJ), ou en hospitalisation traditionnelle sous la supervision d’une équipe médicale, afin de contrôler la tolérance du patient et de prévenir les réactions allergiques. En l’absence de réaction allergique, les injections suivantes sont programmées au domicile du patient. L’équipe HAD, composée de médecins et d’infirmiers spécialisés dans la prise en charge à domicile, assure l’organisation et la réalisation des injections.

Outils de coordination et bénéfices du projet

La fluidité et l’efficacité du parcours de soins proposé par HADENFER reposent sur une communication claire et transparente entre les différents acteurs impliqués, favorisée par des outils de coordination tels que les protocoles de prise en charge, les fiches d’information et le dossier patient partagé. HADENFER présente de multiples avantages. Pour le patient, il permet une amélioration de sa qualité de vie, une réduction des hospitalisations et des transports, et une optimisation du traitement. Le projet est également bénéfique pour le système de santé, car il permet une diminution des coûts d’hospitalisation, une meilleure gestion des lits et une amélioration de l’efficience de la prise en charge.

Facteurs clés de réussite et gestion des difficultés

La mise en place et la réussite du projet HADENFER reposent sur une collaboration étroite entre les différents acteurs de santé, notamment les cardiologues, les médecins traitants et les équipes HAD. Une communication claire et régulière est indispensable, de même qu’une formation des infirmiers HAD à l’administration du fer injectable par voie intraveineuse.
La gestion du risque de réactions allergiques est assurée par un protocole précis, la formation des équipes HAD et la disponibilité d’un kit de sécurité pour chaque patient. L’organisation et la communication sont optimisées par l’utilisation d’un dossier patient partagé et la mise en place de réunions de concertation pluridisciplinaires.

Conclusion

Le projet HADENFER, en proposant l’administration du fer injectable en HAD chez les patients insuffisants cardiaques, constitue une avancée significative dans la prise en charge de la carence martiale. Cette approche innovante, centrée sur le patient et fondée sur la collaboration interprofessionnelle, permet d’optimiser le traitement, d’améliorer la qualité de vie des patients et d’accroître l’efficience du système de santé. La diffusion de ce type d’organisation, s’inspirant du modèle HADENFER, ouvre des perspectives prometteuses pour la prise en charge d’autres pathologies nécessitant l’utilisation de fer injectable.

L’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêt.

Bibliographie

1. Santé Publique France 2019
2. Klip IT, Comin-Colet J, Voors A et al. Iron deficiency in chronic heart failure: an international pooled analysis. Am Heart J 2013 ; 165 : 575-82.
3. Jankowska EA, Rozentryt P, Witkowska A et al. Iron deficiency: an ominous sign in patients with systolic chronic heart failure. Eur Heart J 2015 ; 31 : 1872-80.
4. Ponikowski P, van Veldhuisen DJ, Comin-Colet J et al. Beneficial effects of long-term intravenous iron therapy with ferric carboxymaltose in patients with symptomatic heart failure and iron deficiency. Eur Heart J 2015 ; 36 : 657-68.
5. Jankowska EA, von Haehling S, Anker SD et al. Iron deficiency and heart failure: diagnostic dilemmas and therapeutic perspectives. Eur Heart J 2013 ; 34 : 816-29.
6. Hoes MF, Grote Beverborg N, Kijlstra JD et al. Iron deficiency impairs contractility of human cardiomyocytes through decreased mitochondrial function. Eur J Heart Fail 2018 ; 20 : 910-9.
7. Lewis GD, Malhotra R, Hernandez AF et al. Effect of oral iron repletion on exercise capacity in patients with heart failure with reduced ejection fraction and iron deficiency: The IRONOUT HF randomized clinical trial. JAMA 2017 ; 317 : 1958-66.