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Situations complexes des infections « banales » chez la personne âgée : regards croisés infectiologie-gériatrie

Compte-rendu de la session GInGer,
Journées nationales d’infectiologie de Tours 2025

 

 

Introduction

Les infections dites « banales » prennent, chez le sujet âgé, une dimension toute particulière du fait de leurs répercussions sur l’autonomie, la vulnérabilité accrue vis-à-vis des traitements, la surmortalité, et la difficulté même de définir des objectifs de soins adaptés. À l’occasion des Journées nationales d’infectiologie (JNI) 2025, la session du groupe Infectio-gériatrie (GInGer) a réuni trois interventions pour aborder (1) l’antibiothérapie en fin de vie, (2) l’agitation/confusion à la phase aiguë infectieuse, et (3) l’adaptation des prescriptions anti-infectieuses en contexte de polymédication.

 

 

 

Antibiothérapie chez le patient en fin de vie [1, 2]

D’après l’intervention du Dr Thibaut Fraisse (Alès)

 

Définitions et enjeux spécifiques

La notion de «fin de vie» demeure complexe en gériatrie. Elle englobe à la fois la phase terminale des maladies évolutives (troubles neurocognitifs majeurs au stade sévère, cancers, insuffisances d’organes) et un état de fragilité globale où l’espérance de vie est compromise à court ou moyen terme. Cela rend difficile la standardisation des pratiques.

Fréquence d’exposition et objectifs de prescription

Les études multicentriques rapportent qu’environ un patient sur deux reçoit une antibiothérapie dans les toutes dernières semaines de vie, tant à l’hôpital qu’en Ehpad. La prescription intervient très souvent sans confirmation microbiologique, dans un objectif de soulagement de symptômes réputés «liés à l’infection» (douleur, dyspnée, fièvre mal tolérée, anxiété des proches) plutôt que dans l’espoir d’une guérison.

 

État des connaissances sur l’efficacité

Le niveau de preuve de l’efficacité symptomatique des antibiotiques en fin de vie est faible. Les méta-analyses, notamment celles se concentrant sur les troubles neurocognitifs avancés, montrent un effet modeste et hétérogène. L’antibiothérapie diminue parfois la fièvre et l’inconfort en cas d’infection urinaire, mais il n’existe pas de bénéfice net sur la durée de survie ni la qualité de vie dans les syndromes infectieux respiratoires ou cutanés.
Il est essentiel de prendre en compte la survenue d’effets secondaires, le risque d’interactions et la perte de dignité potentielle due à une hospitalisation ou des examens ou traitements invasifs.

 

Conclusion

La prescription d’antibiotiques en fin de vie ne doit pas être un réflexe mais le fruit d’une décision collégiale et centrée sur le patient. La démarche proposée (Fig. 1), incluant un possible essai thérapeutique de durée limitée, permet de concilier recherche de confort et limitation des traitements futiles, tout en impliquant le patient et ses proches dans le projet de soin.

 

 

Figure 1 – Démarche pratique et recommandations, d’après T. Fraisse et al. [2].

 

 

Agitation et confusion lors de l’infection
chez le patient âgé

D’après l’intervention du Dr Matthieu Coulongeat (Orléans)

 

 

Physiopathologie et enjeux diagnostiques

L’apparition soudaine d’une confusion ou d’une agitation chez une personne âgée est le plus souvent plurifactorielle mais doit faire évoquer une potentielle cause infectieuse, même en l’absence de fièvre. La prévalence du syndrome confusionnel à l’hôpital chez les sujets âgés est estimée à 23,6 %, et le contexte infectieux multiplie ce risque par plus de quatre (OR 4,16).

La fragilité cognitive (troubles neurocognitifs préexistants), l’altération de la barrière hémato-encéphalique et les réactions immunitaires atypiques favorisent la survenue d’un delirium lors des épisodes infectieux, qui peuvent ainsi se présenter de façon fruste, voire sans aucun signe d’orientation.

Incidence pronostique et formes cliniques

Le syndrome confusionnel constitue une urgence diagnostique et thérapeutique. Il est associé à une augmentation de la mortalité à court terme, à un risque accru de développer des troubles neurocognitifs et à une probabilité plus élevée d’être admis en institution.

Il est crucial de différencier les trois principales présentations du syndrome confusionnel.
• La forme hyperactive : caractérisée par une agitation, une agressivité et/ou des hallucinations, elle est la plus visible mais ne représente qu’en moyenne 20 % des syndromes confusionnels.
• La forme hypoactive : se manifestant par une léthargie, un ralentissement psychomoteur et une apathie, elle est la forme la plus fréquente et la plus grave chez les personnes âgées. Elle est souvent sous-diagnostiquée, car les patients, calmes, n’alertent pas, ce qui retarde la prise en charge étiologique.
• La forme mixte : qui alterne des phases d’agitation et de léthargie.

 

Démarche diagnostique et traitement [3]

L’investigation doit être systématique : rechercher l’infection, mais aussi les autres causes favorisantes (désordres métaboliques, iatrogénie, déshydratation, hypoxie, rétention, douleur). Le traitement repose sur celui de la cause, tout en gérant l’épisode aigu en priorisant les mesures non médicamenteuses : rassurer et réorienter le patient, limiter les contentions et dispositifs invasifs et mobiliser précocement. L’introduction ou l’ajustement des psychotropes reste un traitement de seconde intention.

Conclusion

Tout syndrome confusionnel chez un patient âgé nécessite une enquête étiologique approfondie des causes, souvent plurifactorielles. Une cause infectieuse est fréquente mais ne doit conduire à l’introduction d’une antibiothérapie qu’en cas de suspicion étiologique forte (point d’appel franc, preuve bactériologique, etc.). La confusion est un marqueur de gravité majeur. Sa forme hypoactive, plus fréquente et de moins bon pronostic, doit être systématiquement recherchée. La prise en charge vise à traiter la cause tout en appliquant des mesures non médicamenteuses de réassurance et de prévention des complications.

 

Adaptation des anti-infectieux chez le patient
polymédiqué

D’après l’intervention du Pr Marc Paccalin (Poitiers)

 

 

Poids de la polymédication et risques associés [4]

Plus de la moitié des patients âgés hospitalisés reçoit au moins cinq médicaments en traitement chronique. Chaque nouvelle prescription augmente de façon exponentielle le risque d’interactions médicamenteuses, d’effets adverses et de perte d’autonomie.
Les anti-infectieux, notamment les fluoroquinolones, β-lactamines, macrolides et sulfamides, sont particulièrement à risque d’inter- actions et d’effets indésirables.

Démarche d’évaluation à l’introduction ou à la poursuite d’un antibiotique

• Évaluer la fonction rénale : une analyse systématique de la fonction rénale est impérative avant et pendant le traitement. L’insuffisance rénale aiguë est fréquente lors d’une infection et peut rendre toxique une posologie «standard».

• Réviser l’ensemble de la prescription : avant toute introduction d’un antibiotique, une dé-prescription des molécules non indispensables est nécessaire. Il faut rechercher activement les interactions majeures (avec les anti-­vitamines K (AVK), antidiabétiques, amiodarone, etc.) et ajuster les posologies. Il faut être vigilant à l’initiation comme à l’arrêt d’un antibiotique par rapport au contrôle de l’INR chez les patients sous AVK.

• Privilégier une surveillance rapprochée : l’adaptation au jour le jour et le repérage systématique des effets indésirables sont la clé en gériatrie aiguë.

Le rôle du pharmacien clinicien et des outils partagés

L’utilisation croissante de logiciels de gestion de prescriptions, le recours au pharmacien de terrain, et des réunions pluridisciplinaires régulières constituent autant de facteurs associés à une réduction de la iatrogénie.
Dans cette optique, les outils comme STOPP/START sont précieux pour systématiser la révision des ordonnances. Ils permettent de guider la réflexion collégiale (gériatre, infectiologue, pharmacien) pour ajuster, suspendre, ou remplacer les traitements de manière pertinente, transformant l’évaluation exhaustive en un réflexe automatique pour sécuriser la prescription.

Conclusion

Chez le patient âgé polymédiqué, chaque prescription d’antibiotique doit être considérée comme un événement à haut risque iatrogène. La démarche « arrêter-penser-adapter » est essentielle : arrêter les médicaments inutiles, penser aux interactions et adapter les posologies à la fonction rénale. La collaboration avec le pharmacien clinicien est un gage de sécurité.

 

 

Conclusion générale

Ces trois situations rappellent la nécessité d’un regard gériatrique renouvelé face à l’infection de la personne âgée. L’évaluation de la pertinence thérapeutique doit rester la règle, chaque étape s’inscrivant dans une dynamique pluridisciplinaire et une communication transparente avec l’entourage comme avec le patient.

Chez le patient âgé, la prescription d’un anti-infectieux, loin d’être un automatisme, doit s’inscrire dans une réflexion globale articulée autour du projet de soins, de la vigilance quant aux signes de gravité cachés (confusion, agitation), et d’une revue exhaustive de la prescription chronique.

L’évaluation continue de l’efficacité et de la tolérance, alliée à la ­pluri- disciplinarité, demeure le pilier d’une prise en charge adaptée : chaque hospitalisation pour infection est une opportunité à ne pas manquer pour réinterroger le “bon usage” des antibiotiques.

L’auteur déclare ne pas avoir de liens ­d’intérêt.