Dans l’accompagnement et le soin des personnes âgées, les acteurs sont souvent confrontés à des comportements difficiles : un patient agressif, un monsieur sans réaction, une dame qui se sent persécutée… Comment comprendre ces comportements ? Et comment réagir pour accomplir sa mission auprès de la personne ?
Afin de répondre à ces questions, le Dr Clément Baumann, psychiatre de la personne âgée au centre hospitalier de Novillars, a co-écrit avec le Pr Pierre Vandel, psychiatre de la personne âgée et président de la Société francophone de psychogériatrie et de psychiatrie de la personne âgée (SF3PA), le livre « Troubles psychocomportementaux de la personne âgée – Quelle attitude adopter ? ».
Qu’est-ce-qui vous a motivé à écrire cet ouvrage ?
Dr Clément Baumann : Les troubles psychocomportementaux sont fréquents au sein de la population âgée fragile. Par troubles psychocomportementaux, j’entends l’apathie, l’anxiété, l’agressivité, l’humeur dépressive, la désinhibition, les idées délirantes, les hallucinations ou les comportements moteurs aberrants. En Ehpad, huit résidents sur dix présentent un ou plusieurs de ces troubles.
Lorsqu’ils sont présents, ces symptômes sont fortement associés à l’épuisement de l’entourage. Une étude a montré que près de la moitié des soignants qui y sont exposés de façon répétée présentent des signes d’épuisement professionnel. De façon générale, les troubles psychocomportementaux ont une forte incidence sur le quotidien des acteurs qui interviennent auprès de personnes âgées.
En dispensant des formations sur cette thématique, j’ai pris conscience que les professionnels se sentent souvent démunis et en manque d’outils sur le plan relationnel. Ils se questionnent : comment s’adresser à une personne qui présente un discours délirant ? Comment s’adapter à un refus de soins ? Comment désamorcer une situation d’agressivité ? Notre idée en écrivant cet ouvrage était de leur fournir des outils, issus de notre pratique en psychiatrie, pour les aider à mieux comprendre et à mieux accompagner les personnes âgées qui souffrent de troubles psychocomportementaux.
Comment ce livre est-il structuré ?
Nous proposons en première partie l’analyse de sept situations cliniques où la rencontre entre une personne âgée et un professionnel est perturbée par un symptôme psychocomportemental. Chaque situation est analysée : ressentis du professionnel et du patient, lecture symptomatique, hypothèses diagnostiques, puis un ajustement relationnel est proposé. La deuxième partie est plus générale. Elle pose les principes relationnels utiles à l’accompagnement des personnes âgées.
Pouvez-vous donner aux lecteurs un exemple d’ajustement relationnel ?
Prenons l’exemple d’un monsieur âgé qui se montre hostile et condescendant avec l’infirmier qui vient lui dispenser son traitement à son domicile. Lorsque l’infirmier procède à un recadrage en demandant au patient de rester calme, ce dernier devient menaçant et le soignant se sent en situation d’échec.
Face à un comportement difficile, nous conseillons au professionnel de commencer par prendre de la distance et considérer qu’il s’agit vraisemblablement d’un symptôme qui ne le met pas en cause. Dans notre exemple, le comportement agressif peut être l’expression d’une dépression hostile, d’une maladie d’Alzheimer, ou de l’effet indésirable d’un traitement. La deuxième étape consiste à se demander si le comportement exprime un besoin psychique. Par exemple, ce patient a-t-il besoin de se confronter à une figure d’autorité pour se rassurer ? Ou a-t-il besoin de se réaffirmer pour lutter contre le sentiment d’être diminué ?
Les deux questions : « s’agit-il d’un symptôme ? » et « s’agit-il de l’expression d’un besoin ? » permettent de donner du sens à la situation, d’intégrer la singularité de la personne rencontrée, et finalement de proposer un ajustement relationnel personnalisé. Ici, se montrer humble et valoriser la personne est plus efficace que de procéder à un recadrage ferme.
Avez-vous des conseils pour gérer les relations avec l’entourage ?
Les aidants naturels occupent une place centrale dans l’accompagnement des personnes âgées et sont confrontés aux mêmes comportements que les professionnels. Ils apportent un regard complémentaire sur les symptômes et aident à mesurer leur retentissement dans la vie quotidienne. Ils sont également fortement exposés au risque d’épuisement qui est souvent mal repéré. À ce titre, l’échelle de Zarit peut être utile. Par conséquent, nous conseillons de planifier des temps dédiés avec l’entourage, sous la forme d’entretiens téléphoniques ou de rencontres, aussi souvent que cela est possible.
Comment prendre en compte correctement les variations des symptômes dans le temps ?
Le travail collaboratif avec le patient, l’entourage familial et l’ensemble de l’équipe pluriprofessionnelle permet d’avoir la vision la plus juste des symptômes et de leur évolution au fil du temps. Pour faciliter ce travail, la réalisation d’échelles d’évaluation des symptômes permet de mesurer leur volume et leur retentissement au fil du temps (par exemple : échelle d’anxiété de Hamilton ou échelle d’agitation de Cohen Mansfield).
Comment disposer des bonnes informations pour personnaliser les approches ?
En s’intéressant à la personne ! Plus on développe une connaissance fine de la personne, de sa situation (médicale, sociale, familiale) et de son histoire de vie, plus on a d’outils pour l’accompagner de façon efficace et personnalisée !
Selon vous, quels sont les défis principaux pour la mise en place de ces approches ?
Le principal défi pour la mise en place de ces approches est le même que celui que nous devons surmonter lorsque l’on travaille dans le milieu du soin et de l’accompagnement : le manque de temps ! Un bon accompagnement nécessite une bonne connaissance de la situation. Et une bonne connaissance nécessite d’avoir à disposition un minimum de temps. Néanmoins, la qualité du relationnel n’est pas qu’une question de temps, mais aussi d’attitude et de compétences ! L’objectif de ce livre, qui a été conçu pour pouvoir être lu d’une traite, est de démontrer qu’avec quelques clés, même dans un temps réduit, le relationnel peut faire toute la différence dans le soin et l’accompagnement.