Contexte
Une patiente de 92 ans est hospitalisée en court séjour gériatrique pour asthénie intense et dysphagie progressive depuis 15 jours.
Elle a pour antécédents une dégénérescence maculaire liée à l’âge associée à un syndrome de Charles Bonnet, avec un traitement par injections intra-vitréennes au niveau de l’œil droit, des migraines ophtalmiques, un diabète de type 2 insulinorequérant, une hypertension artérielle traitée par inhibiteur calcique et sartan, et une hernie inguinale opérée.
Retraitée, cette patiente vit seule à son domicile. Elle est autonome et pratique une activité physique régulière. Elle bénéficie d’une infirmière à domicile trois fois par jour pour la gestion des glycémies.
Mi-novembre 2023, la patiente ressent une grande asthénie avec une limitation de ses activités de la vie quotidienne. En allant, comme à son habitude, à sa séance bi-hebdomadaire de kinésithérapie à pied, elle dit ressentir des tremblements généralisés, une sensation de tachycardie et un dérobement des membres inférieurs, l’obligeant à s’arrêter plusieurs fois sur le trajet. Ces épisodes se répètent, jusqu’à ce qu’elle n’arrive plus à se relever seule du banc sur lequel elle s’est assise. De façon concomitante, la patiente rapporte l’apparition progressive d’une dysphagie aux liquides, avec une gêne à la déglutition et une stagnation des sécrétions au fond de la gorge en position couchée, qui est associée à une dysphonie avec une voix plus rauque que d’habitude, ce qui justifie son hospitalisation.
Tableau clinique
Cliniquement, il n’y a pas de déficit moteur ni sensitif. L’examen des paires crâniennes met en évidence une faiblesse à l’occlusion palpébrale bilatérale et une faiblesse de vibration de la luette sans anomalie du voile du palais. Il existe un doute sur un ptosis bilatéral. L’occlusion labiale semble préservée. L’oculomotricité reste normale avec un champ visuel, testé au doigt, préservé. Les réflexes ostéo-tendineux sont plutôt vifs aux membres supérieurs, avec une zone réflexogène discrètement élargie, mais sont normaux aux membres inférieurs. Il n’y a pas de signe de Babinski ni de signe de Hoffman. Nous ne retrouvons pas d’amyotrophie ni de fasciculations et le testing moteur est bien tenu. Il n’y a pas de syndrome extrapyramidal.
Bilan biologique
Sur le plan biologique, la numération formule sanguine est sans anomalie. La glycémie est à 1,35 g/l, le bilan hépatique et l’ionogramme sanguin sont normaux. Le DFG est estimé à 71 ml/min/1,73 m². Il n’y a pas de syndrome inflammatoire biologique. La TSH est à 3,17 µg/ml. L’HBA1c est à 6,7 %. L’électrophorèse des protéines sériques est normale. Par ailleurs, les sérologies VIH, Lyme et syphilis sont négatives.
Examens d’imagerie
• L’ECG est sinusal et un holter ECG est réalisé compte tenu de la tachycardie décrite, et ne retrouve pas de trouble du rythme ni de la conduction.
• La radiographie du thorax est normale.
• Un avis ORL est demandé. L’examen de l’oropharynx est normal. Au naso-fibroscope, les cordes vocales sont symétriques et mobiles, il n’y a pas de lésion suspecte visualisée.
• Le scanner cervico-thoracique ne retrouve pas de masse ou de collection visible hormis un nodule thyroïdien gauche de 7 mm. Les plans anatomiques sont respectés sans lésions péjoratives. Nous mettons seulement en évidence un emphysème pulmonaire centro-lobulaire avec remaniements interstitiels chroniques sans répercussion clinique.
En reprenant l’interrogatoire plus finement, la patiente décrit une fatigabilité oculaire avec des épisodes de diplopie fluctuante et une chute des paupières, associée parfois de chute de la tête avec douleurs nucales. La symptomatologie ne touche pas les membres supérieurs ni inférieurs. Nous demandons un avis neurologique. La neurologue nous propose de réaliser un test au glaçon.
Le test au glaçon
Ce test consiste en l’application d’une poche de glace contre la paupière supérieure ayant une faiblesse ou un ptosis, œil fermé, pendant 2 minutes (Fig. 1). Il est interprété à la réouverture des yeux après ces 2 minutes.
• Il est positif si la fente palpébrale s’ouvre d’au moins 2 mm par rapport à la position initiale, voire revient à la normale physiologique. Cela signifie que le froid améliore le symptôme. Cette réversibilité ne dure pas et la faiblesse revient au bout de quelque temps.
• Il est négatif si, à l’inverse, après 2 minutes d’application du glaçon, le relevé de la paupière est inchangé et anormal [1-3].
Ce test non invasif permet de détecter une myasthénie.
Il y a une valeur diagnostique variable selon les études. La sensibilité du test seul varie de 38,5 à 90 % selon les études et atteint 73 % en le répétant à deux reprises. La spécificité varie de 97,4 à 100 % [1].
Prise en charge de la patiente
Le test au glaçon est positif avec amélioration transitoire du ptosis. Les anticorps anti-récepteurs de l’acétylcholine sont positifs. Un traitement par pyridostigmine orale de 60 mg trois fois par jour est introduit avec une bonne tolérance en dehors d’une discrète hypersialorrhée. Il permet une nette amélioration des symptômes durant le séjour qui se maintient à 6 mois. Après un séjour en SSR, elle a pu retourner à son domicile avec le renfort d’une aide-ménagère et la poursuite de séance de kinésithérapie.
Point sur la myasthénie du sujet âgé
La myasthénie est une maladie auto-immune causée par un défaut de transmission synaptique à travers la jonction neuromusculaire. Cela est dû à la présence d’anticorps anti-récepteurs de l’acétylcholine ou parfois d’autres types d’anticorps plus rares qui bloquent les récepteurs de la plaque motrice. Ce blocage post-synaptique induit les symptômes de la myasthénie. Elle se manifeste principalement par une fatigabilité excessive des muscles lisses à l’effort, avec un caractère fluctuant dans le temps. Le ptosis et la diplopie sont les signes les plus remarquables au diagnostic, surtout en fin de journée.
Il existe différentes présentations cliniques de la myasthénie. La forme oculaire, souvent présente en début de maladie, n’atteint que les muscles palpébraux et oculaires. Elle peut aussi se manifester par une forme bulbaire, avec des troubles de la déglutition et de la phonation, qui grèvent le pronostic à court terme. Elle peut devenir généralisée, avec une sévérité dépendant de l’atteinte des muscles respiratoires et de la déglutition [1, 4].
Épidémiologie
Cette maladie est plus fréquente chez les patients jeunes (60 % des cas ont moins de 40 ans), mais peut concerner toutes les tranches d’âge dont les personnes âgées. Sa prévalence est inconnue, elle est estimée entre 50 et 200 cas par million d’habitants [5]. Son incidence a été estimée chez les plus de 60 ans à 6,3/100 000 habitants en Europe sur l’ensemble de la période 1990-2001 (0,5/100 000 par an), comparé à une incidence annuelle de 0,4/100 000 habitant tout âge confondu [6, 7].
Chez le patient âgé, le diagnostic est difficile devant les nombreuses comorbidités, ce qui rend le pronostic plus défavorable. De nombreuses fois, un autre diagnostic est évoqué en premier, principalement un AVC, ce qui retarde le diagnostic de myasthénie [6, 7].
Même si la forme oculaire pure reste prédominante, les patients de plus de 70 ans présentent une fréquence plus élevée de formes bulbaires par rapport à la population générale. Ils font plus de formes sévères, notamment d’emblée au diagnostic [6]. De plus, parmi les patients atteints de myasthénie grave, il y a davantage de personnes âgées de plus de 65 ans [8]. Le risque de décès est aussi plus important après 70 ans. L’âge de début aurait une influence sur le pronostic [6].
Les personnes âgées ont moins de thymomes associés que les jeunes [6, 7]. La myasthénie auto-immune a fait l’objet d’un Protocole national de diagnostic et de soins (PNDS) en 2015 [5].
Diagnostic
Pour le diagnostic, le dosage des anticorps anti-récepteurs à l’acétylcholine reste nécessaire. Ils sont très fréquemment élevés dans cette population. On peut également faire un test pharmacologique aux anticholinestérasiques en hospitalisation ou demander un électroneuromyogramme pour rechercher un décrément de l’amplitude du potentiel moteur supérieur à 10 % signant un bloc neuromusculaire [4, 8, 9].
Il existe, chez ces patients âgés, une haute prévalence de comorbidités auto-immunes qui peuvent aggraver leur pronostic. Ainsi, il existe des syndromes auto‑immuns multiples associant la myasthénie auto-immune avec la maladie de Gougerot-Sjögren, l’anémie de Biermer, ou la thyroïdite de Hashimoto. Les comorbidités psychiatriques sont fréquemment présentes, comme pour nombre de maladies chroniques invalidantes. Il faut rechercher de la dépression ou un trouble anxieux qui peuvent affecter également le devenir des patients. Toutes ces pathologies doivent être recherchées à l’examen clinique, aidé si besoin par un bilan biologique [6, 10].
Traitement
Le traitement consiste en l’introduction d’un anti-cholinestérasique de type pyridostigmine ou ambénonium, qui permet de prolonger transitoirement l’action de l’acétylcholine au niveau de la membrane post-synaptique. Le traitement est long à mettre en place du fait de l’augmentation progressive des doses jusqu’à obtenir l’efficacité optimale sans effets secondaires trop invalidants. Comme pour d’autres maladies auto-immunes, une corticothérapie peut être nécessaire ainsi que des immuno-suppresseurs tels que l’azathioprine [4, 5, 11]. La thymectomie n’améliore pas les symptômes chez les patients âgés. Elle ne sera discutée que pour les rares cas de mise en évidence d’un thymome, selon l’état général du patient [6, 8].
Il faut noter que la myasthénie contre-indique de nombreux médicaments susceptibles d’altérer la transmission neuromusculaire tels que les aminosides, les macrolides ou les bêtabloquants, même en collyre (Tab. 1) [4, 5].
Même si la mortalité est plus importante que dans la population générale, les patients âgés sont très répondeurs au traitement, ce qui leur permet de garder un bon pronostic et une bonne qualité de vie s’il est introduit précocement avant les stades sévères [6, 9].
Conclusion
La myasthénie chez le sujet âgé n’est pas rare et peut être grave. Son mode de présentation est parfois complexe, car il peut se manifester par des symptômes gériatriques comme des chutes ou des troubles de la déglutition. Elle doit être évoquée devant un ptosis ou une diplopie fluctuante. Le test du glaçon est un test clinique simple qui peut permettre de faire rapidement le diagnostic en cas de forme oculaire. Son diagnostic et sa prise en charge précoce, avant la survenue d’une complication sévère, améliore son pronostic.
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt.
Bibliographie
1. Park JY, Yang HK, Hwang JM. Diagnostic value of repeated ice tests in the evaluation of ptosis in myasthenia gravis. PLoS One 2017 ; 12 : e0177078.
2. Laville MA, Guillamo JS, Mouriaux F. Devant un ptosis acquis de l’adulte, quand évoquer une myasthénie ? Réalités Ophtalmologiques 2012 ; 196 : Cahier 1.
3. Golnik KC, Pena R, Lee AG, Eggenberger ER. An ice test for the diagnosis of myasthenia gravis. Ophthalmology 1999 ; 106 : 1282-6.
4. CEN – Myasthénie ; www.cen-neurologie.fr/fr/deuxieme-cycle/myasthenie.
5. PNDS – Myasthénie autoimmune (has-sante.fr) www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2015-07/pnds_-_myasthenie_autoimmune.pdf.
6. Fraisse T, Labauge P, Camu W et al. Myasthénie du sujet âgé : diagnostic, comorbidité et évolution. À propos de 45 cas. Presse Med 2007 ; 36 : 9-14.
7. Durand F, Camdessanché JP, Jomir L et al. Myasthénie du sujet âgé : analyse rétrospective de 23 observations. La Revue de Médecine Interne 2005 ; 26 : 924-30.
8. Cortés-Vicente E, Álvarez-Velasco R, Segovia S et al. Clinical and therapeutic features of myasthenia gravis in adults based on age at onset. Neurology 2020 ; 94 : e1171-e1180.
9. Chanson JB, Vial C, Mallaret M et al. Myasthénie survenant après 70 ans : une étude de 115 cas. Revue Neurologique 2019 ; 175 : S31.
10. Law C, Flaherty CV, Bandyopadhyay S. A Review of Psychiatric Comorbidity in Myasthenia Gravis. Cureus 2020 ; 12 : e9184.
11. Magot A. Traitements de la myasthénie, état des lieux et perspectives. Neurologies 2020 ; 23 : 298-306.