« Dès qu’un homme est né, il est assez vieux pour mourir », disait le philosophe et nazi dépressif Martin Heidegger.
Le vieillissement est un processus naturel et, pourtant, on le craint aujourd’hui plus que la mort elle-même. Mieux vaut une mort rapide, indolore si possible, qu’un lent et inexorable déclin ! « Je ne veux pas sentir le vieux, puer, être ennuyeuse, avoir une bouche de grenouille, inspirer la compassion au lieu du désir » (Le Temps de Genève), écrivait ainsi Jacqueline Jencquel, vice-présidente de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité, en 2020, au moment de rendre public son choix du suicide assisté. La vieillesse était, pour cette septuagénaire en bonne santé, une « maladie incurable »… Une « maladie » que certains rêvent d’éradiquer un jour. Un auteur transhumaniste comme Aubrey de Grey, qui se présente comme un « biogérontologue », va jusqu’à dire que « le vieillissement massacre 100 000 personnes par jour », que l’on pourrait et qu’il faudrait sauver. Cela revient à faire du syndrome de Peter Pan un programme politique et social !
Il ne s’agit nullement, pour autant, d’idéaliser le vieillissement, qui entraîne un rétrécissement des capacités physiques et cognitives. On meurt par le menu, comme le dit Montaigne, et on est de surcroît contraint d’assister à toutes ces petites morts (la chute d’une dent, la perte de ses cheveux, etc.) sans pouvoir rien n’y changer. Le principal danger de la vieillesse, comme le dit le neurologue Yves Agid, est de sombrer dans la dépression, de se résigner face à la décrépitude entamée et parfois avancée.
C’est cette réalité implacable de la lassitude de vivre qui rend si insupportable le discours lénifiant sur le « bien vieillir », qui consiste en somme à avancer en âge sans vieillir, donc à rester jeune indéfiniment ! Le prétendu bien vieillir est dans la droite ligne de la tyrannie du bien-être, sinistre parodie du « eu zên » des Grecs, que l’on pourrait librement traduire par « vivre en beauté ». C’est l’homo confort brocardé par Stefano Boni, qui souhaite mourir jeune… mais le plus tard possible !! La philosophe américaine Susan Neiman s’interrogeait ainsi dans Grandir sur l’infantilisme rampant en Occident : on fait tout pour retarder l’entrée dans l’âge adulte, alors vieillir… Tout le monde est paradoxalement pressé d’être à la retraite, mais c’est parce qu’on imagine entrer alors dans une seconde jeunesse, faite de voyages et de légèreté. Nos artères se feront alors un malin plaisir de nous rappeler rapidement notre âge réel…
On reste pantois devant les innombrables témoignages triomphants de seniors de la guerre contre l’âge, qui se félicitent d’avoir bien vieilli, s’empressant de livrer leurs secrets aux lecteurs candides en quête d’un hypothétique remède. On ne choisit pourtant pas de bien vieillir, même si l’on peut mieux vieillir grâce à l’exercice physique et mental, parce qu’il faut trouver chaque jour de nouvelles raisons d’aimer la vie lorsqu’elle devient de plus en plus pénible.
Montaigne disait, avec la simplicité qui le caractérise, que « la vieillesse a un peu besoin d’être traitée plus tendrement ». C’est certes le plus souvent un lent naufrage, mais les vaisseaux, même usés jusqu’à la corde, continuent d’avancer courageusement tant que le vent, la vie, l’envie les portent.
L’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêt.