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Pour ou contre le déremboursement des médicaments symptomatiques de la maladie d’Alzheimer ?

Les avis divergent sur la question du déremboursement des médicaments symptomatiques de la maladie d’Alzheimer. Tandis que la Société française de gériatrie et gérontologie est contre le déremboursement, le Pr Dominique Somme, un des experts auditionnés par la Commission de la transparence pour trancher sur la question, se positionne en faveur. Dans cet article, les deux parties exposent leurs arguments.

 

Contre

De l’urgence de rembourser les médicaments anti-Alzheimer

Alors que les médicaments contre la maladie d’Alzheimer ne sont plus remboursés depuis le 1er août 2018, nous, gériatres et gérontologues, manifestons notre plus profond désaccord et demandons la suspension de cette décision. Aux stades débutant et modéré auxquels sont prescrits les médicaments, nous insistons sur leurs effets bénéfiques sur les patients souffrant de la maladie. Le but de cette prescription est bien de maintenir le plus longtemps possible les fonctions cognitives : sans ces médicaments, plusieurs risques majeurs sont à redouter.

D’une part, une démédicalisation de la maladie d’Alzheimer, avec un effet négatif sur la prévention des situations à risque (conduite automobile, gestion des médicaments, gestion des finances personnelles…), mais aussi avec une mise en place trop tardive de gestion des troubles du comportement. À l’instar de la plus grande majorité des maladies chroniques incapacitantes, dont l’archétype est la maladie d’Alzheimer, l’inscription du patient et de son proche aidant dans un parcours de santé efficient implique de ne pas en retarder le diagnostic, ce à quoi seront désormais exposés ces malades devenus “orphelins”, pourtant victimes d’une affection touchant près de 1 million de personnes.

L’autre risque est la mise en œuvre d’une médecine à deux vitesses en fonction des moyens financiers de chacun pour poursuivre le traitement. Nous le répétons : ces médicaments n’ont pas montré d’effet délétère s’ils sont bien utilisés, en respectant les contre-indications et précautions d’emploi, comme en témoigne l’absence de signal de pharmacovigilance de la part des instances sanitaires des grands pays. Enfin, l’ultime risque serait la prescription des médicaments tels que des benzodiazépines ou les neuroleptiques qui présentent en réalité beaucoup plus d’effets secondaires en contradiction avec les recommandations actuelles.

Les grandes études scientifiques internationales prônent une prise en soins de la maladie d’Alzheimer et des maladies apparentées combinant des approches médicamenteuses et non médicamenteuses complémentaires. Selon plusieurs méta-analyses, les médicaments ont prouvé leur efficacité sur la cognition dans la maladie d’Alzheimer, la maladie à corps de Lewy et la démence de la maladie de Parkinson (la revue Cochrane de 2015, de la réévaluation de ces médicaments par le National Institute for Care Excellence britannique en 2016 et de la commission de neurologie du Lancet).

Nous souhaiterions également dénoncer les conditions dans lesquelles la Commission de la transparence de la Haute autorité de santé a instruit le dossier. En effet, l’avis émis par le service médical et les conclusions délivrées sont de nature à susciter de grandes réserves. Nous demandons un nouvel examen de ce dossier afin que les données scientifiques recueillies soient le plus juste possible. Ce qui n’est actuellement pas le cas.

En outre, nous tenons à rappeler combien le déremboursement décidé pour le 1er août 2018 va introduire une iniquité importante entre les familles les plus aisées et les plus démunies chez les patients souffrant de maladie d’Alzheimer ou d’une maladie à corps de Lewy qui répond tout particulièrement à ces traitements.

 

Pour

Une voix dissonante en faveur du déremboursement

Je remercie la revue Repères en Gériatrie de m’avoir sollicité pour exprimer mon opinion sur le déremboursement des médicaments inhibiteurs de l’acétylcholine-estérase et de la mémantine, étant l’un des experts auditionnés par la Commission de la transparence qui a rendu l’avis sur lequel se basent aujourd’hui les autorités pour justifier leur déremboursement.

Chacun peut avoir accès à la transcription des débats de toutes les réunions de la Commission de la transparence. Il ne s’agit donc pas ici de refaire le travail d’expertise dans son intégralité, mais d’en défendre, d’une certaine façon, la légitimité.

J’utilise volontairement la première personne du singulier, car je vais ici défendre une position que je sais être minoritaire. La SFGG est bien sûr légitime à défendre une idée qui semble être majoritaire parmi ses membres. Même si l’on note une baisse importante des ventes de ces médicaments ces dernières années, qui pourrait témoigner d’une baisse de confiance en leur efficacité, les médecins exerçant en consultation mémoire ont pu, à l’initiative de la Fédération nationale des centres mémoire de ressources et de recherche (FCMRR), exprimer une opinion largement favorable aux médicaments. Comme beaucoup de ces médecins sont gériatres, il est plausible qu’une bonne partie des membres de la SFGG partagent ces opinions. Je ne prétends donc nullement que mon opinion soit majoritaire. Cela rend-il mon discours inaudible ou par avance discrédité ? Je ne le crois pas. L’histoire nous enseigne effectivement qu’un certain nombre de faits qui font aujourd’hui consensus ont par le passé été des opinions minoritaires.

Que m’a demandé au juste la Commission de la transparence de la HAS ? Mon expertise, pour savoir s’il était légitime de continuer à rembourser par la solidarité nationale les médicaments prescrits dans la maladie d’Alzheimer. Bien sûr, lorsque l’on vous sollicite pour ce type de mission, il faut s’interroger sur le fait que l’on est bien légitime pour donner cette expertise. Un certain nombre d’acteurs ont déposé un recours contre l’avis de la Commission de la transparence dans lequel la légitimité de mon expertise est remise en cause pour des raisons qui me paraissent irrespectueuses. D’une part, mon expertise n’aurait pas été juste, car j’ai été médecin dans l’équipe du Pr Olivier Saint-Jean, lui-même membre de la Commission de la transparence et dont la position
« anti-médicament » semblait évidente (il est visé dans la prise de position de la SFGG comme « celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom »). Il m’apparaît un peu désobligeant qu’on puisse ainsi m’accuser de n’avoir aucun sens de l’indépendance. S’il est vrai que j’ai été son adjoint, mon avenir professionnel et scientifique ne dépend pas du Pr Olivier Saint-Jean avec qui je garde de bons rapports. En effet, je suis à présent et depuis 2012 chef de service et professeur à Rennes alors qu’il travaille à Paris. Nous n’avons aucune collaboration de recherche en cours et je ne partage pas l’opinion qu’il développe dans son dernier livre sur l’absence de substratum pathologique aux troubles cognitifs qui ne seraient qu’un effet du vieillissement cérébral. J’ai d’ailleurs aujourd’hui beaucoup plus de liens avec le Dr Serge Belliard, neurologue dont l’expertise est reconnue au niveau national et international et qui a une position en faveur des médicaments. Ces liens amicaux ne constituent pas des conflits d’intérêts dans la mesure où mon statut actuel ou futur ainsi que mes travaux académiques ou de recherche n’en dépendent nullement. C’est donc après avoir considéré que je n’avais de conflits d’intérêt d’aucune nature, ni en faveur ni en défaveur du médicament, que je me suis autorisé à exprimer mon jugement. L’autre reproche qui m’est fait est que mes travaux de recherche ont plutôt porté sur les réponses non médicamenteuses aux problématiques soulevées par les personnes souffrant de troubles cognitifs ce qui biaiserait ma réponse en défaveur des médicaments. C’est un peu comme si on accusait les personnes qui font de la recherche sur l’exercice physique dans le contrôle du diabète d’être contre la prescription d’insuline. D’ailleurs, un des arguments majeurs pour le maintien du remboursement de ces médicaments lors de la précédente réévaluation du service médical rendu était qu’ils participaient à l’accessibilité au soin et au meilleur parcours de santé. Des compétences en recherche en organisation des soins étaient, je pense, dès lors particulièrement bienvenues pour juger de la validité de cet argument.

Si j’ai répondu favorablement à cette demande, ce n’est pas par assujettissement au Pr Olivier Saint-Jean ou par volonté de démolir une « concurrence » aux approches non médicamenteuses. Si j’ai répondu favorablement, c’est parce que je pensais pouvoir faire le travail sérieusement. J’ai une certaine compétence en méthodologie et en lecture critique d’articles que j’entretiens avec application. Je suis habitué à l’exercice d’expertise de dossiers de recherche (PHRC, PHRIP, ANR), et j’ai aussi beaucoup expertisé pour des journaux scientifiques nationaux et internationaux. Je pense donc que je peux m’appuyer sur cette compétence. Par ailleurs, en tant que gériatre et praticien de consultation mémoire, j’ai vu un grand nombre de patients atteints de pathologie cognitive et j’ai même pendant un temps eu l’expérience de la prescription des inhibiteurs de l’acétylcholine-estérase et de la mémantine avant d’arrêter progressivement de les prescrire, depuis 2005 timidement, puis depuis 2008 de façon plus systématique. J’ai aussi l’expérience, en tant que chercheur en gériatrie, des difficultés inhérentes à la recherche sur des personnes atteintes de pathologie cognitive ou très âgées et aussi sur l’adaptation des données de la science à la population gériatrique.

J’ai donc écrit un rapport défavorable à la poursuite du remboursement par la solidarité nationale des médicaments dont il est question (et que je n’appellerais pas personnellement « anti-Alzheimer » comme cela est écrit en titre de l’avis de la SFGG). Les arguments, que j’expose rapidement ici, sont les suivants :

  •  Les médicaments en question ont un effet à court terme sur des scores cognitifs hypersensibles au changement et étudiés en moyenne sans que les modifications en question n’aient fait l’objet de validation sur leur pertinence clinique.
  •  Il n’y a pas de preuves convaincantes d’un effet au long cours de ces molécules sur des critères de devenir pertinents pour les patients comme pour le système de santé en général (consommation de soins, recours à l’aide médico-sociale ou recours à l’entrée en institution par exemple).
  •  Les études ont été menées sur des populations de patients beaucoup plus jeunes en moyenne que les patients traités. Cela a une importance dans la mesure où on a des données anatomopathologiques et issues de biomarqueurs témoignant du fait que les pathologies des patients âgés ne sont pas les mêmes que celles des patients jeunes à atteintes cognitives équivalentes.
  •  Les méta-analyses dans ce domaine comme dans d’autres malheureusement finissent par être plus nombreuses que les études originales, mais ne permettent évidemment pas de dépasser les limites des études initiales. Il est frappant de voir que les effets rapportés y compris sur les scores en moyenne sont de très faible amplitude et que le biais de non-publication des études négatives n’est pas pris en compte dans ces méta-analyses. Je sais, pour avoir participé à certaines du temps de mon clinicat, que des études menées avec des inhibiteurs de l’acétylcholine-estérase n’ont pas été publiées.
  •  Je n’ai pas personnellement défendu l’idée que ces médicaments pouvaient être « dangereux » comme cela a été rapporté dans la presse. Je n’ai pas acquis de certitude sur cette question à la lecture du dossier. Je ne suis pas certain non plus du contraire, car il est difficile d’avoir les idées parfaitement claires en ce domaine. En effet, les déclarations de pharmacovigilance sont souvent plus rares lorsque les situations sont complexes. Les patients en affection de longue durée ou ayant une prescription des médicaments en question ont en France une moyenne d’âge autour de 87 ans. À cet âge, plus de 50 % des patients ont plus de deux autres pathologies actives. Lorsqu’un événement se produit, il devient dès lors particulièrement délicat de le rapporter à un effet secondaire médicamenteux. Je reconnais qu’il n’y a pas d’éléments probants sur la « dangerosité » et c’est pourquoi je n’ai pas utilisé dans mon rapport cet argument contre la poursuite du remboursement.
  •  En revanche, ces médicaments produisent des « désagréments » qui sont eux parfaitement documentés et fréquents : troubles digestifs, céphalées, rhinorrhée et larmoiement par exemple. Ces effets secondaires qui sont parfois pris pour l’apparition d’une nouvelle maladie entraînent des consultations chez des médecins spécialistes qui ne connaissent pas toujours les médicaments en question et font pratiquer des examens complémentaires inutiles et eux-mêmes pourvoyeurs de nouvelles découvertes. Tout cela dans une population de sujets fragiles dont le consentement à toutes ces explorations n’est pas toujours très clair. Ces effets secondaires, sans doute non graves et en tout cas non mortels, mais fréquents, me paraissent par contre largement suffisants pour remettre en cause le remboursement de médicaments dont le bénéfice n’est pas assuré.
  •  Il n’a jamais été démontré de façon convaincante que les médicaments participaient à la structuration du parcours de santé des patients atteints de troubles cognitifs et on peut même supposer le contraire. En effet, si la SFGG et d’autres sociétés se sont très fortement élevées contre la décision de la HAS, le collège de médecine générale a lui très fortement défendu cet avis. À mon sens, cette dichotomie des discours sur les médicaments dessert la bonne structuration du parcours de santé des patients. Il est possible que cela n’ait pas été toujours le cas et sans doute qu’au moment de leur mise sur le marché on pouvait défendre l’idée que ces médicaments portaient cet espoir, mais cette période est derrière nous et les différents plans Alzheimer nationaux ont heureusement largement modifié l’offre sanitaire et médico-sociale de réponse à cette maladie.
  •  Il a été fait état de patients « répondeurs », mais plus de 30 ans après la mise sur le marché des molécules en question, il n’y a toujours pas la moindre caractérisation de ces patients ce qui rend cet argument caduque et laisse planer un doute sur le sérieux avec lequel la recherche a été menée par les laboratoires qui développaient ces molécules (et qui n’avaient sans doute pas intérêt à ce que l’on définisse mieux la population des « répondeurs »).

En outre, je souhaite souligner que j’ai appelé à la rédaction de recommandations concernant l’accompagnement à la déprescription, car cette pratique que j’ai initiée en autodidacte est tout de même complexe. Je prétends même qu’il est sans doute beaucoup plus long de déprescrire que de prescrire et que la complexité de cette consultation de déprescription a une nature proche de celle des « consultations d’annonce » avec probablement une nécessité de réaliser cela en plusieurs temps avec des stratégies proches de celle utilisée en éducation thérapeutique. Malheureusement, les nouvelles recommandations de la HAS sur les maladies cognitives qui viennent d’être publiées sont muettes sur ce sujet qui aurait dû être central. C’est cela, je pense, qui aurait donné du sens à l’ensemble de la démarche, y compris sans doute pour les associations de patients.

Est-ce que le déremboursement entraîne la démédicalisation ? En tout cas, rien n’y oblige et il est même un peu triste de penser que le médecin aurait besoin de pouvoir prescrire un médicament pour pouvoir faire correctement son travail qui est de coordonner avec le patient l’ensemble de son plan de soins. Il n’y a aucune fatalité à ce que les patients soient adressés plus tard aux consultations ou seulement en cas d’apparition des symptômes psychologiques et comportementaux. Paradoxalement, je pourrais même supposer que l’effet inverse pourrait se produire avec nombre de médecins généralistes débarrassés de l’anxiété de voir revenir leur patient avec une prescription avec laquelle ils n’adhèrent pas. Personnellement je parviens à soigner des patients depuis des années sans avoir recours à ces molécules.

Pour ce qui est des autres risques : 1) si médecine à deux vitesses il y a, pour une fois, il n’est pas certain que cela soit vraiment en faveur des plus aisés, et 2) en ce qui concerne la prescription d’autres molécules dont l’usage n’est pas recommandé dans ces maladies, je pense nécessaire de former les médecins (y compris gériatres donc) à la déprescription pour tenter d’éviter ces fâcheuses dérives.

Je suis confiant dans l’avenir, confiant également dans la science. Je ne « crois » pas à l’efficacité ou l’inefficacité des médicaments, car ce terme « croire » n’est pas de nature scientifique. En revanche, je pense que l’avenir nous montrera que nous avons encore plus de ressources que nous ne l’imaginons pour ces patients, qu’il s’agisse du développement de stratégies médicamenteuses ou non médicamenteuses. En réalité, mon sentiment le plus profond, c’est que cette histoire sur ces médicaments nous enseigne à nous autres gériatres que nous devons développer notre propre recherche. Pour ce qui est des maladies à expression cognitive, il faut casser l’appellation « fourre-tout » de « maladie d’Alzheimer » et retourner vers une nosographie plus fine et plus juste. À mon sens, nous serons toujours dans l’impasse thérapeutique tant que nous n’aurons pas résolu l’enjeu nosographique.