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Vaccination et Covid-19 : retours et espoirs

Une brève histoire de la vaccination

Dès l’antiquité, on fit le constat empirique que des individus ayant survécu à une maladie infectieuse aiguë ne contractaient pas la maladie une seconde fois : ils semblaient ainsi protégés par la première exposition. Cette observation a conduit dès le XIe siècle à la pratique de la variolisation en Chine, qui consistait à instiller chez un sujet sain des extraits de pus ou de squames d’un patient infecté et présentant une forme atténuée de la maladie. Cette pratique a été introduite en Europe occidentale au XVIIe siècle. Cependant, si la variolisation semblait efficace et prévenait effectivement la variole chez la majorité des sujets, 2 à 3 % des individus ayant fait l’objet d’une variolisation mourraient de la maladie ainsi transmise, expliquant que cette méthode ne se soit que très lentement répandue… On peut cependant citer, en France, l’inoculation de la variole à Louis XVI et à plusieurs membres de la famille royale en 1774, année même ou Louis XV était mort de la variole. À la toute fin du XVIIIe siècle, Edward Jenner observa que les paysans contaminés par la vaccine (la « maladie des trayeurs »), une variole bovine, étaient protégés de la variole humaine. Il nota également que cette protection n’était pas définitive, et que ces paysans pouvaient contracter la variole des années après avoir présenté une forme atténuée de la vaccine… Ainsi naquit le principe de la vaccination, consistant à inoculer à un sujet sain une forme atténuée de la maladie, et le concept de la revaccination pour pérenniser la protection ainsi acquise. La vaccination anti-variolique se généralisera en France au XIXe siècle, et la démonstration de l’intérêt d’une revaccination fut apportée lors de la guerre de 1870. Les soldats allemands étaient revaccinés tous les 7 ans, contrairement aux Français. Sur 500 000 combattants allemands, 8 463 furent contaminés par la variole, conduisant à 459 décès (5,4 %). Parmi les 300 000 Français engagés dans les combats, 12 500 contractèrent la variole, conduisant à 2 340 décès (18,7 %). Ce triste constat fit la promotion de la revaccination dans l’ensemble de l’Europe. La vaccination se faisait alors de l’animal à l’Homme, et le Dr Ernest Chambon, qui mit en place le premier institut de la vaccine, fut surnommé l’homme à la vache car il utilisait une génisse vaccinifère qui était transportée en voiture d’un centre de vaccination à l’autre…

Choléra du poulet, charbon des moutons

C’est ensuite Louis Pasteur qui étendit la vaccination à d’autres maladies, et développa le concept d’atténuation de l’agent infectieux utilisé pour vacciner. À la fin des années 1870, il mit au point le vaccin contre le choléra du poulet en utilisant une souche atténuée du virus, puis fit de même pour un vaccin contre le charbon des moutons. Il apporta la preuve de l’efficacité de cette dernière vaccination en inoculant le charbon à deux groupes d’animaux, l’un préalablement vacciné et l’autre non. La plupart des animaux non vaccinés moururent tandis qu’aucun des animaux vaccinés ne développa la maladie. Mais c’est la vaccination anti-rabique de l’enfant Joseph Meister, mordu par un chien enragé, qui représenta l’étape décisive pour la vaccination humaine. Joseph Meister restera en relation avec Louis Pasteur et sera même engagé comme gardien à l’Institut Pasteur de Paris. Puis, entre 1880 et 1900, apparaissent les premiers vaccins tués, pour la typhoïde, la peste et le choléra. Ainsi, les premiers jalons de la vaccination furent posés alors que l’on ne connaissait rien de l’immunologie, dont les premières bases seront posées en 1897 par Ehrlich.

Tuberculose, typhoïde, paratyphoïdes

Sur ces principes des vaccins atténués ou tués, la première moitié du XXe siècle verra le développement de vaccins majeurs, tels celui de la tuberculose, de la typhoïde et des paratyphoïdes A et B, de la coqueluche, de la fièvre jaune, de la grippe, des oreillons… Au cours des années 1920 apparaissent les anatoxines, un procédé de modification de la toxine d’un agent infectieux qui lui fait perdre l’essentiel de sa toxicité tout en conservant ses propriétés antigéniques, permettant le développement des vaccins contre la diphtérie et le tétanos.

Poliomyélite, rougeole, varicelle, oreillons

Après la Seconde Guerre mondiale, l’amélioration des techniques de cultures cellulaires et tissulaires facilite l’inactivation d’agents infectieux, permettant le développement des vaccins contre la poliomyélite, la rougeole, la varicelle, les oreillons.

Purification des antigènes

Puis se sont développées différentes techniques de purification des antigènes. Ces antigènes peuvent être des protéines, qui sont préalablement inactivées lorsqu’il s’agit de toxines (anatoxine), comme pour le tétanos ou la diphtérie, ou des polysaccharidiques (méningocoque, haemophilus, pneumocoque). Le couplage de protéines et de polysaccharides est à l’origine des vaccins conjugués (Prevenar®, Neisvac®, Meningitec®, Menjugate®). Puis les progrès des biotechnologies ont permis la création des premiers vaccins recombinants, avec l’hépatite B ; la protéine virale est alors synthétisée par une cellule à laquelle on a inséré le code génétique de la protéine virale (recombinaison), protéine qui est ensuite purifiée pour en faire le vaccin.

Multiplication des techniques et des outils

Ces dernières décennies se caractérisent par la multiplication des techniques, aboutissant aux stratégies utilisées pour le Covid-19, et que nous décrirons plus loin.

Les progrès de l’hygiène, l’amélioration des conditions de vie, l’apparition des antibiotiques pour les maladies bactériennes ont bien évidemment joué un rôle dans le recul des grandes infections ancestrales, jadis responsables de millions de morts ; mais cette brève histoire de la vaccination nous rappelle les bénéfices majeurs apportés par les vaccins pour la santé publique, permettant même l’éradication définitive de maladies telles que la variole et la poliomyélite.

Bibliographie

1. Guérin N. Histoire de la vaccination : de l’empirisme aux vaccins recombinants. La Revue de Médecine Interne 2007 ; 28 : 3-8.
2. Berche P. Une histoire des microbes. John Libbey Eurotext ; 2007.

Les différents types de vaccin

Si le principe de la vaccination reste toujours d’induire chez l’individu vacciné une réaction immunitaire, notamment par un niveau d’anticorps spécifiques suffisant et une mémoire immunologique prolongée pour le protéger durablement du risque infectieux, les techniques de vaccination ont beaucoup évoluées depuis la variolisation et se sont considérablement diversifiées (Fig. 1). De nombreuses stratégies vaccinales sont actuellement disponibles ; elles ont chacune leurs avantages et leurs limites (1, 2).

Les vaccins vivants atténués

Ils sont constitués d’organismes (virus ou bactéries) vivants qui ont été modifiés afin de leur faire perdre leur pouvoir infectieux tout en conservant leur capacité à induire une réponse immunitaire efficace chez l’individu vacciné. Ces vaccins sont assez faciles à créer et sont généralement très efficaces. Cependant, ils contiennent un agent infectieux vivant, ils sont donc contre-indiqués chez les personnes immunodéprimées et les femmes enceintes. Les exemples sont nombreux : vaccin anti-rougeole, vaccin anti-amaril, vaccin antipoliomyélite oral, vaccin antituberculeux.

Les vaccins inactivés

Ils sont constitués de micro-organismes tués par exposition au formol ou chauffage, ils sont incapables de réplication (ex : vaccin contre la coqueluche). Ces vaccins sont faciles à produire. Ils peuvent cependant déclencher ou exacerber des manifestations inflammatoires de la pathologie qu’ils sont censés prévenir.

Les vaccins vivants recombinants

Ces vaccins utilisent des souches de virus (ou bactéries) vivants rendus inoffensifs en inactivant ou en éliminant les gènes potentiellement responsables d’un pouvoir pathogène, auquel on fait exprimer (par recombinaison) un gène codant pour une protéine du virus (ou de la bactérie) responsable de la pathologie ciblée par la vaccination. Ces vecteurs vivants peuvent être réplicatifs ou non réplicatifs. La plupart des vaccins vivants recombinants développés pour la vaccination anti-Covid reposent sur l’utilisation d’un adénovirus (Ad) non réplicatif (exemple : ChAdOx1-S). Le coût de production de ces vaccins est relativement faible, et le risque de réversion vers une forme virulente est supprimé. En revanche, une éventuelle immunité pré-existante contre le virus vecteur est susceptible d’interférer avec la vaccination. Des exemples de vaccins vivants recombinants sont le vaccin contre la shigellose, ou celui de la fièvre de la Vallée du Rift. Certains vaccins actuellement développés contre le SARS-Cov-2 reposent sur ce principe, utilisant comme vecteur un adénovirus atténué (3, 4) ; c’est le cas du vaccin développé par l’Université d’Oxford et le laboratoire Astra-Zeneca (ChAdOx1-S[recombinant]), ou encore le vaccin russe (Spoutnik). On introduit cependant un organisme vivant, ce qui conduira sans doute à éviter l’utilisation de ce type de vaccin chez les patients immunodéprimés.

Les vaccins antigéniques (protéines, polysaccharides ou combinés)

Ces vaccins utilisent un antigène purifié du micro-organisme dont on veut protéger les individus vaccinés. Ces vaccins ont un profil de tolérance favorable, mais l’utilisation isolée de l’antigène ne suffit souvent pas à enclencher une réponse immunitaire, l’adjonction d’un adjuvant est souvent nécessaire. De plus, leur production est généralement lente. Ces vaccins sont très utilisés actuellement, par exemple contre l’hépatite B, le pneumocoque ou le méningocoque. C’est ce type de vaccin qui est actuellement développé par Sanofi et GSK pour le Covid, en utilisant la protéine de surface « Spike ».

Les pseudo-particules virales (VLP : virus-like particles)

Il s’agit de particules sub-virales dépourvues de génome. Ils correspondent à l’assemblage de protéines de la capside virale, ne contenant pas de matériel génétique (ADN ou ARN). Leur autoréplication est donc impossible. Ces vaccins sont donc sûrs, mais, à l’instar des vaccins antigéniques, ils nécessitent souvent des adjuvants, tels que les sels d’alumine. Ils sont de plus relativement longs et coûteux à produire. Enfin, ils n’induisent pas d’immunité cellulaire (5).

Les vaccins à acides nucléiques, ARN ou ADN

Le principe de ces vaccins est d’injecter des molécules d’ARN ou d’ADN codant exclusivement pour des protéines de l’agent pathogène et de faire produire ces protéines par les cellules de l’individu vacciné. Leur production est rapide, et relativement peu onéreuse. Les molécules d’acides nucléiques sont « enrobées » par des véhicules lipidiques qui, en fusionnant avec les membranes des cellules de l’individu vacciné, libèrent les molécules d’acides nucléiques à l’intérieur des cellules situées au site d’injection (cellules musculaires et cellules immunitaires). Ce mode de vaccination ne nécessite pas d’activer l’immunité innée, donc pas besoin d’adjuvant. De plus, ce type de vaccination induit non seulement une réponse humorale mais également une réponse cellulaire. Dans le cas d’un vaccin ARN, la production de la protéine s’effectue directement dans le cytoplasme de la cellule, alors que, pour les vaccins ADN, les molécules d’ADN injectées transitent par le noyau de la cellule avant d’être transcrites en ARN. Les vaccins développés par Pfizer BioNTech et Moderna sont des vaccins à ARN, utilisant un ARN messager codant pour la protéine Spike du SARS-CoV-2, protéine fortement immunogène qui permet au virus de se fixer sur les cellules qu’il infecte (6, 7). Les acides nucléiques sont faciles à produire en grande quantité, ce qui constitue un avantage indéniable dans le contexte pandémique actuel. L’absence d’adjuvant constitue également un avantage en termes de tolérance, ces adjuvants stimulant de façon aspécifique les cellules de l’immunité innée. En revanche, l’ARN est une molécule instable, ce qui impose de l’insérer dans un véhicule lipidique, et un stockage à très basse température. Dans le cas du vaccin Pfizer BioNTech, ce vecteur est constitué de trois lipides anioniques, un lipide neutre (cholestérol) et un stabilisateur contenu dans l’excipient, le polyéthylène glycol (PEG). Après injection intramusculaire, l’enveloppe lipidique fusionne avec des membranes cellulaires et libère dans la cellule l’ARN messager. Cet ARN messager va être traduit en protéine par la cellule, qui exprime alors à sa surface les molécules « Spike » (Fig. 2). Elles sont alors reconnues par le système immunitaire comme des cellules infectées, induisant une réponse à la fois humorale et cellulaire. Enfin, les molécules Spike synthétisées sont rapidement détruites, de même que l’ARN injecté. Ce matériel étranger ne reste donc que peu de temps dans l’organisme, juste le temps nécessaire à induire une réponse immunitaire.


Cette technologie des vaccins ARN messager est un procédé récent. Elle a déjà conduit au développement expérimental d’autres vaccins, contre le virus Zika et celui d’Ebola par exemple. Mais c’est dans l’immunothérapie anticancéreuse que cette technique connaît les développements les plus spectaculaires depuis déjà quelques années, permettant d’induire une immunité spécifiquement dirigée contre les cellules cancéreuses (8).
On comprend ainsi que, dans le contexte actuel, les vaccins ARN constituent certainement la meilleure solution pour produire rapidement de très grandes quantités de vaccin en offrant le maximum de sécurité.

Bibliographie

1. Ye T, Zhong Z, García-Sastre A et al. Current Status of Covid-19 (Pre)Clinical Vaccine Development. Angew Chem Int Ed 2020 ; 59 : 18885-97.
2. Tregoning JS, Brown ES, Cheeseman HM et al. Vaccines for Covid-19. Clin Exp Immunol 2020 ; 202 : 162-92.
3. Folegatti PM, Ewer KJ, Aley PK et al. Safety and immunogenicity of the ChAdOx1 nCoV-19 vaccine against SARS-CoV-2: a preliminary report of a phase 1/2, single-blind, randomised controlled trial. Lancet 2020 ; 396 : 467-78.
4. Mercado NB, Zahn R, Wegmann F et al. Single-shot Ad26 vaccine protects against SARS-CoV-2 in rhesus macaques. Nature 2020 ; 586, 583-8.
5. Keech C, Albert G, Cho I et al. Phase 1-2 Trial of a SARS-CoV-2 Recombinant Spike Protein Nanoparticle Vaccine. New Eng J Med 2020 ; 383 : 2320-32.
6. Jackson LA, Anderson EJ, Rouphael NG et al. An mRNA vaccine against SARS-CoV-2-preliminary report. New Eng J Med 2020 ; 383 : 1920-31.
7. Mulligan MJ, Lyke KE, Kitchin N et al. Phase 1/2 study of Covid-19 RNA vaccine BNT162b1 in adults. Nature 2020 ; 586, 589-93.
8. Pardi N, Hogan MJ, Porter FW, Weissman D. mRNA vaccines — a new era in vaccinology. Nat Rev Drug Discov 2018 ; 17 : 261-79.

Comment évalue-t-on l’efficacité des vaccins ?

L’exemple des vaccins Pfizer BioNTech, Moderna, AstraZeneca/Oxford et Gamaleya Spoutnik

Il y a plusieurs façons d’évaluer l’efficacité d’un vaccin (1, 2, 3). La première façon est d’évaluer l’efficacité directe, c’est-à-dire le niveau de protection d’une population vaccinée par rapport à une population non vaccinée (cela correspond au fameux chiffre de 95 % d’efficacité vanté par Pfizer-BioNTech). La seconde façon est d’évaluer le nombre de personnes à vacciner au sein d’une population pour protéger l’ensemble de la population d’un risque épidémique, c’est-à-dire atteindre le seuil d’immunité grégaire ou immunité de groupe (Fig. 1). Mais il faut aussi tenir compte de la population sur laquelle les études seront conduites, incluant ou non des personnes à risque, du niveau d’activité de l’épidémie au moment de l’étude, enfin du critère d’efficacité primaire choisi pour les études. Pour les vaccins anti-Covid, on a choisi comme critère principal une infection Covid-19 symptomatique confirmée par PCR, qui définit la susceptibilité à l’infection ; mais on aurait pu choisir la détection du SARS-Cov-2 par PCR sur des prélèvements systématiques, correspondant à l’infectiosité, à la capacité de transmettre l’infection (donc le risque de contagion), ou encore la diminution du risque de forme sévère. Ces derniers critères, choix de la population, activité de l’épidémie et critère principal de jugement sont très importants à prendre en compte à la lecture du résultat des études, afin de comparer des données réellement comparables. On pourrait ajouter d’autres éléments, tels le nombre de sujets à vacciner pour épargner l’infection chez un sujet, qui correspond à l’inverse de la réduction du risque (1/[taux d’infection dans le placebo – taux d’infection dans le groupe vacciné]), l’efficacité vis-à-vis des diverses souches connues de l’agent infectieux et notamment des nouveaux variants, la durée de l’immunité induite, ou la tolérance…

Efficacité directe du vaccin

L’efficacité directe est l’expression de la réduction de susceptibilité à l’infection chez les vaccinés par rapport à des sujets non vaccinés, au sein d’une même population. Le calcul de cette efficacité s’obtient par la formule VE = 1 – RR, ou RR est le rapport du taux d’infections observées dans le groupe vacciné sur celui enregistré dans le groupe témoin (N infections chez les sujets vaccinés / N infections chez les témoins non vaccinés).

L’efficacité du vaccin Pfizer BioNTech

L’étude de phase 3 du vaccin Pfizer BioNTech a évalué le taux d’infections Covid-19 chez des sujets ayant reçu soit deux doses de vaccin à 3 semaines d’intervalle, soit deux doses de placebo (4). L’étude a été conduite chez des sujets de plus de 16 ans, en bonne santé, pouvant être atteints de maladies chroniques stables, mais les personnes allergiques ont été exclues. Les infections ont été comptabilisées à partir du 7e jour après la 2e injection, et la période de surveillance a été de 3 mois en moyenne. Sur 18 198 sujets vaccinés, 8 ont développé le Covid (dont une forme sévère), contre 162 sur 18 325 sujets du groupe placebo (dont 9 formes sévères). L’efficacité du vaccin (réduction du taux d’infection) est donc de 95 %. Ces chiffres permettent également de calculer le nombre de sujets à vacciner pour épargner le Covid chez une personne, qui est de 119 (Fig. 2). L’analyse en incidence cumulée des infections Covid dans les deux groupes montre une réduction majeure du risque dès le 10e jour après la seconde injection de vaccin (Fig. 3). Les données de tolérance de l’étude sont très rassurantes, limitées à des douleurs au point d’injection, chez 90 % des patients (Tab. 1), une fatigue rapidement passagère chez 50 % des sujets, des céphalées (40 %), des myalgies (20 %), une fièvre (3,5 %) (Tab. 2). Quelques complications plus sévères ont été observées : une réaction d’hypersensibilité chez 1,5 % des sujets dans le groupe vacciné contre 1,1 % dans l’autre groupe (mais rappelons que les sujets à risque d’allergie ont été exclus), 3 paralysies faciales dans le groupe vaccin contre 1 dans le groupe placebo. Aucune mention n’est faite du cas particulier des quelques patients porteurs de maladies chroniques inclus dans l’étude. L’immunité est conservée pendant les 3 mois d’observation, mais nous ne disposons encore d’aucune donnée ultérieure.

L’efficacité du vaccin Moderna

L’étude de phase 3 de Moderna n’a pas encore été publiée, mais quelques données sont disponibles sur les comptes rendus d’analyse du dossier par l’EMA. Quarante-deux pour cent des 30 000 volontaires inclus dans l’étude sont issus de populations à risques (personnes de plus de 65 ans ou présentant une comorbidité). L’intervalle entre les deux injections a été de 28 jours. Cent quatre-vingt-cinq cas de Covid symptomatique ont été observés dans le groupe placebo, contre onze cas dans le groupe vaccin, et trente Covid sévères dont un décès, tous dans le groupe placebo. L’efficacité est de 94 %, et le nombre de sujets à vacciner pour épargner un Covid symptomatique est de 80,8 (Fig. 4). Les effets secondaires rapportés sont du même ordre que ceux observés pour le vaccin Pfizer BioNTech.

L’efficacité des vaccins Astra-Zeneca et Spoutnik : analyse intermédiaire de phase 3 en cours

Ces deux vaccins utilisent un vecteur viral recombinant.
• Pour le vaccin Astra-Zeneca, 11 636 sujets ont été inclus pour l’analyse intermédiaire. L’efficacité est évaluée à 70 %, aucune forme grave n’ayant été observée dans le groupe vacciné. En termes de tolérance, il faut signaler trois cas de myélite transverse, dont l’une survenue 14 jours après la deuxième injection.
• Pour le vaccin Spoutnik, 16 000 personnes ont reçu les deux injections et ont été pris en compte pour l’analyse intermédiaire, évaluant l’efficacité à 92 %.

Efficacité globale : quelle proportion de la population faudra-t-il vacciner pour enrayer l’épidémie ?

L’efficacité globale est la réduction du taux d’attaque de l’agent infectieux dans une population dont une fraction est vaccinée, par comparaison au taux d’attaque dans une population non vaccinée. Cette valeur dépend bien sûr de la contagiosité de l’agent infectieux, c’est-à-dire du R0 qui, rappelons-le, correspond au nombre moyen de personnes que va contaminer un sujet malade ; cette relation a fait l’objet d’une modélisation (Fig. 5). Plus le R0 est élevé, plus la proportion de sujets vaccinés devra être importante. Par exemple, pour des infections très hautement contagieuses comme la rougeole ou la coqueluche, dont le R0 se situe entre 12 et 18, il faut vacciner au moins 90 % de la population pour obtenir une couverture vaccinale critique, c’est-à-dire une couverture vaccinale susceptible d’enrayer la propagation de l’infection. Pour le Covid-19, cette évaluation est plus difficile, car le R0 de base (avant toute mesure de protection) a fait l’objet d’évaluations fournissant des résultats assez différents, entre 1,35 et 4 (6). Ceci permet néanmoins d’estimer la couverture vaccinale critique entre 50 et 70 %.

La question des variants

Comme tous les virus, le SARS-Cov-2 mute très fréquemment, et la sélection darwinienne favorise les mutants les plus contagieux. Au regard de la vaccination, la question est de savoir si nos vaccins resteront efficaces vis-à-vis de l’ensemble des mutants, ou s’il faudra, à l’instar de la grippe, revacciner régulièrement la population après ajustement du vaccin à la souche prédominante du moment. Parmi les variants récemment décrits, on peut citer le variant britannique (VOC 202021/01), le variant sud-africain (501Y.V2), les variants brésiliens (P.1 et B.1.1.28), le variant californien (L452R)…
Plusieurs de ces variants ont déjà été repérés en France, où le variant britannique serait déjà responsable de 1 à 2 % des nouveaux cas de Covid.
Le variant britannique serait plus contagieux (de l’ordre de 70 %), et pourrait également être responsable d’un nombre accru de formes sévères. En revanche, il reste sensible aux deux vaccins ARN actuellement commercialisés (7).
Le variant sud-africain serait également plus contagieux (de 40 à 50 %), mais ne semble pas être responsable de plus de formes sévères ou létales. Ce variant a été identifié chez quelques patients en France.
Les variants brésiliens accroissent donc la contagiosité du virus. Ils semblent également influer sur la réponse immunitaire à l’infection, ce qui se traduit par une augmentation du risque de réinfection chez les personnes ayant déjà contracté le Covid, et laisse entendre qu’il faudra adapter les vaccins à ce variant (8).

Conclusion

Si l’on peut s’émerveiller de la rapidité avec laquelle des vaccins efficaces ont été développés et mis à la disposition des populations, on peut également mesurer que tout n’est pas réglé. L’une des inconnues majeures est la durée de la protection induite par les vaccins. Les modalités d’évaluation de cette protection constituent également une interrogation : la sérologie n’appréciant que la réponse immunitaire humorale, il est possible que la disparition des anticorps spécifiques ne traduisent pas nécessairement la perte de la mémoire vaccinale. En ce qui concerne la tolérance de ces vaccins, les données sont actuellement très rassurantes. Néanmoins, vous avez entendu quelques alertes dans la presse grand public : 23 décès post-vaccination (vaccin ARN) chez des personnes âgées fragiles en Norvège (fièvre, troubles digestifs…), un décès par purpura thrombopénique immunologique chez un médecin de 56 ans aux États-Unis (vaccin Pfizer), cinq décès en France chez des personnes âgées avec comorbidités multiples, enquête en cours… D’exceptionnelles réactions anaphylactiques (1,1/100 000 doses de vaccin) ont été rapportées aux États-Unis, et justifient des mesures de prudence chez les patients aux antécédents allergiques. Comment peut-on imaginer vacciner des millions de personnes sans observer un petit lot de complications, imputables formellement ou non au vaccin ? Nous ne pouvons que souhaiter que ces alertes ne fassent pas fléchir l’engouement actuel pour la vaccination. Enfin, la diffusion rapide du virus, que n’enrayent ni les mesures de protection sociale (confinement, limitation des échanges internationaux…), ni la vaccination d’une frange encore très limitée de la population, favorisera sans doute l’émergence de variants sur lesquels les vaccins actuels ne seront pas actifs, ce qui imposera des ajustements de nos vaccins et des campagnes de revaccination. Dans cette sombre perspective, la stratégie d’utilisation de vaccin ARN semble particulièrement appropriée, compte tenu de la facilité de la synthèse de l’ARN. Pour ne pas terminer sur une note trop pessimiste, on peut rappeler que les essais de traitement de la maladie n’ont pas dit leur dernier mot, à l’instar de la communication très récente des résultats de l’étude COLCORONA, qui montre, chez des malades ambulatoires, un effet assez spectaculaire de la colchicine, réduisant de 21 % le risque d’hospitalisation et de décès chez des patients Covid positif par rapport au placebo (9).

Bibliographie

1. Hethcote H. The mathematics of infectious diseases. SIAM Review 2000 ; 42 : 599-653
2. Boëlle PY. Épidémiologie théorique et vaccination. La Revue de Médecine Interne 2007 ; 28 : 161-5.
3. Lin D-Y, Zeng D, Mehrotra DV et al. Evaluating the Efficacy of Covid-19 Vaccines. Clin Infect Dis 2020 Dec 19;ciaa1863.
4. Polack FP, Thomas SJ, Kitchin N et al. Safety and Efficacy of the BNT162b2 mRNA Covid-19 Vaccine. N Engl J Med 2020 ; 383 : 2603-15.
5. Voysey M, Clemens SAC, Madhi SA et al. Safety and efficacy of the ChAdOx1 nCoV-19 vaccine (AZD1222) against SARS-CoV-2: an interim analysis of four randomised controlled trials in Brazil, South Africa, and the UK. Lancet 2021 ; 397 : 99-111.
6. Viceconte G, Petrosillo N. Covid-19 R0: Magic number or conundrum? Infect Dis Rep 2020 ; 12 : 8516.
7. Conti P, Caraffa Al, Gallenga CE et al. The British variant of the new coronavirus-19 (Sars-Cov-2) should not create a vaccine problem. J Biol Regul Homeost Agents 2020 ; 35.
8. Collier DA, Meng B, Ferreira IATM et al. Impact of SARS-CoV-2 B.1.1.7 Spike variant on neutralisation potency of sera from individuals vaccinated with Pfizer vaccine BNT162b2. medRxiv 2021 preprint doi: https://doi.org/10.1101/2021.01.19.21249840
9. https://www.globenewswire.com/news-release/
2021/01/23/2163109/0/en/Colchicine-reduces-the-risk-of-Covid-19-related-complications.html

Quelques questions pratiques en rhumatologie

À l’instar de ce qui s’est produit lors de la première vague, nous sommes tous inondés de questions, de la part de nos patients, de nos proches… La Société Française de Rhumatologie va très bientôt diffuser un document de référence qui sera régulièrement mis à jour, ainsi qu’une foire aux questions pour répondre au mieux aux questions les plus inattendues. Nous n’aborderons ici que les interrogations les plus fréquentes.

Les patients atteints d’un rhumatisme inflammatoire chronique sont-ils des patients à haut risque ? Pourront-ils bénéficier du vaccin en priorité ?

Les patients présentant un rhumatisme inflammatoire ont initialement été considérés comme tel par les autorités de santé. Pour autant, vous le savez désormais, les différents registres, à l’instar de RMD-Covid, n’ont pas montré d’augmentation du risque de développer le Covid, ni de surrisque de faire une forme grave. On retrouve, chez les patients présentant un RIC, les mêmes facteurs de risque de forme sévère que dans la population générale : âge avancé, hypertension artérielle, diabète, obésité, bronchopneumopathie chronique. Trois autres facteurs sont associés à un risque accru de formes sévères : l’activité de la maladie, la corticothérapie et le rituximab.
La liste actuelle définissant officiellement les patients à haut risque (voir encadré) ne mentionne pas les RIC, mais retient les polypathologies avec au moins deux insuffisances d’organes, ce qui peut être le cas d’un certain nombre de nos patients ayant notamment une pneumopathie interstitielle sévère.

Le vaccin risque-t-il d’être moins efficace chez les patients traités pour un RIC ?

Les études actuelles n’ont comporté que très peu de patients porteurs de RIC, et nous ne disposons pas de données suffisantes pour répondre de façon formelle.
Néanmoins, par analogie avec ce que l’on connaît de l’impact de nos traitements sur les autres vaccins, on peut dire que, hormis pour la corticothérapie à dose élevée (≥ 10 mg d’équivalent prednisone par jour) et le rituximab, nos traitements n’ont pas d’impact significatif sur la réponse vaccinale.

Faut-il interrompre les traitements avant la vaccination ?

Non, il n’y a pas d’intérêt à arrêter le traitement avant la vaccination. Une étude très préliminaire a soulevé la question de l’impact de l’arrêt transitoire du méthotrexate sur la réponse au vaccin anti-grippal. Mais cette étude n’a jamais été confirmée, et le risque de reprise d’activité de la maladie aurait en revanche des conséquences néfastes sur la réponse vaccinale.

Les patients présentant un RIC ont-ils un risque accru de complications vaccinales, ou de faire une poussée de leur maladie inflammatoire ?

Encore une fois, nous ne disposons que de données très préliminaires, puisque très peu de patients RIC ont été inclus dans les essais. Cependant, aucun risque particulier n’a été enregistré, ni aucune réaction spécifique. Pour ce qui est du risque de faire une poussée de la maladie, on peut rappeler que les vaccins ARN, qui seront certainement privilégiés chez les patients porteurs de maladies chroniques, ne comportent pas d’adjuvant, et qu’ils n’activent donc pas de façon aspécifique la réponse immunitaire innée. Enfin, on peut rappeler que nous n’observons pas de recrudescence de poussées inflammatoires à la suite des vaccinations anti-grippale ou anti-pneumococcique, malgré l’usage d’adjuvants dans ces vaccins.

Faut-il vacciner les personnes ayant déjà fait le Covid ?

Oui, il est conseillé de vacciner les patients ayant déjà présenté l’infection, car on ne sait pas combien de temps perdure l’immunité naturelle conférée par la maladie. En revanche, il est conseillé d’attendre 3 mois après la fin de l’épisode infectieux avant la vaccination.

Peut-on vacciner un sujet ayant déjà présenté des réactions allergiques ?

Oui, avec certaines précautions. Quelques réactions allergiques sévères (anaphylaxie) ont été décrites avec le vaccin Pfizer BioNTech, attribuée à une réaction allergique au polyéthylène glycol (PEG) contenu dans l’excipient du vaccin. L’incidence de ces réactions a été évaluée à 1,1 pour 100 000. Le PEG est contenu dans d’autres médicaments, comme le certolizumab utilisé en rhumatologie. En cas d’allergie médicamenteuse connue, il est donc prudent de vérifier si ce médicament incriminé dans l’allergie contenait du PEG. Dans le cas contraire, le risque est certainement minime. Quoi qu’il en soit, les vaccinations se déroulent dans des centres parfaitement équipés pour prendre en charge ce type de réaction allergique, et une surveillance d’une quinzaine de minutes est systématiquement réalisée après la vaccination.

Quand la vaccination sera-t-elle proposée aux patients RIC ? Quel vaccin choisir ?

Probablement durant la deuxième vague ou la troisième vague de vaccination en fonction de l’âge et des comorbidités.
Le vaccin ARN sera privilégié pour les raisons déjà évoquées.

Combien de temps le vaccin protège-t-il ?

Impossible à l’heure actuelle de répondre à cette question…

La vaccination protègera-t-elle de tout risque de développer la maladie ou de la transmettre ?

Les vaccins actuellement commercialisés sont très efficaces et réduisent d’environ 95 % le risque de développer la maladie… Mais pas 100 % ! Des sujets vaccinés lors des essais cliniques ont néanmoins développé l’infection, mais dans une forme bénigne. Pour ce qui est du risque de contagiosité, nous n’avons pas de donnée. Cependant, il est très probable qu’un sujet vacciné et contaminé puisse être porteur du virus et donc le transmettre, le vaccin prévenant simplement le développement de la maladie, et plus particulièrement ses formes sévères. Il est néanmoins certain que, le virus ne parvenant pas à se développer chez le sujet vacciné, sa charge virale soit réduite et sa contagiosité faible.

Peut-on (doit-on) vacciner une femme enceinte ou allaitante ?

Peu de femmes enceintes ont été incluses dans les études… Les données sont donc insuffisantes pour assurer l’innocuité de la vaccination au cours de la grossesse. La vaccination n’est donc pas conseillée chez la femme enceinte, sauf en cas de risque particulier… et la décision doit alors être partagée (comme toujours…).
– En cas de désir de procréation, il est conseillé d’attendre 3 mois après la seconde dose de vaccin.
– En ce qui concerne l’allaitement, l’absence de toute donnée conduit à déconseiller la vaccination pendant l’allaitement.

Comment vaincre les réticences à la vaccination ?

En étant convaincu (et vacciné) soi-même, et, comme toujours, en dialoguant.

 

L’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêt.